Je bornerai mon intervention à deux points essentiels qui seront examinés au Conseil européen : d’abord la politique économique de l’Union européenne et ensuite la préparation du G20 qui se tiendra à Séoul, les 11 et 12 novembre 2010, s’agissant des problèmes monétaires internationaux. Sur ces deux points, aucune embellie n’est véritablement en vue : d’un côté, le renforcement de la rigueur réclamée par la Commission européenne soutenue par l’Allemagne, de l’autre, la poursuite de la glissade du dollar sous l’impulsion de la FED faisant marcher la planche à billets et, en conséquence, le renchérissement de l’euro, étouffant notre économie. L’Europe est menacée par un retour de la récession. Les plans d’austérité retireront un point à la croissance dans la zone euro, en 2011, et l’appréciation du dollar coûtera entre un demi et trois quarts de point de plus.
Ce serait se tromper lourdement de ne pas faire le lien entre ces perspectives peu réjouissantes et le mécontentement social qui s’exprime dans le pays et qui dépasse le problème des retraites : chacun voit bien qu’il ne suffit pas de reculer l’âge de la retraite ou d’allonger les annuités de cotisations pour procurer du travail à ceux qui n’en ont pas, jeunes, moins jeunes, et seniors à plus forte raison.
La langueur de l’économie surdétermine le reste. La zone euro est la lanterne rouge de la croissance à l’échelle mondiale. Et le choix de la monnaie unique fait, il y a plus de deux décennies, a mis la France sur une mauvaise route : l’euro, dans la guerre des monnaies, apparaît comme une simple variable d’ajustement entre le dollar et le yuan. À l’échelle européenne, la monnaie unique creuse les différences entre les économies industrielles à haute intensité technologique comme l’Allemagne et celles qui, comme la nôtre, sont plus sensibles à la concurrence par les prix.
Ce serait se tromper lourdement de ne pas faire le lien entre ces perspectives peu réjouissantes et le mécontentement social qui s’exprime dans le pays et qui dépasse le problème des retraites : chacun voit bien qu’il ne suffit pas de reculer l’âge de la retraite ou d’allonger les annuités de cotisations pour procurer du travail à ceux qui n’en ont pas, jeunes, moins jeunes, et seniors à plus forte raison.
La langueur de l’économie surdétermine le reste. La zone euro est la lanterne rouge de la croissance à l’échelle mondiale. Et le choix de la monnaie unique fait, il y a plus de deux décennies, a mis la France sur une mauvaise route : l’euro, dans la guerre des monnaies, apparaît comme une simple variable d’ajustement entre le dollar et le yuan. À l’échelle européenne, la monnaie unique creuse les différences entre les économies industrielles à haute intensité technologique comme l’Allemagne et celles qui, comme la nôtre, sont plus sensibles à la concurrence par les prix.
Cela, le pays le sent et parce que la France est une nation essentiellement politique, elle l’exprime, tout simplement parce qu’elle a le sentiment d’être engagée dans une impasse.
De cela je ne me réjouis pas, parce que cette impasse a quelque chose de tragique et que les initiatives du Président de la République au plan international, pour méritoires qu’elles apparaissent souvent, ne me semblent pas à la hauteur des problèmes posés.
I – Commençons par la politique économique dans l’Union européenne et particulièrement par ce qu’on appelle « gouvernance économique »
La Commission européenne a proposé, le 29 septembre dernier, un ensemble complet de mesures législatives. Quatre propositions visant à réformer le pacte de stabilité, deux autres à prévenir les déséquilibres macroéconomiques dans l’Union européenne et dans la zone euro. L’essentiel tient en un appareil coercitif de sanctions : dépôts portant ou non intérêts et amendes s’appliquant aux Etats qui s’écarteraient d’une politique budgétaire « prudente » (qui définira cette prudence ?) ou qui se trouveraient en situation de déficit excessif.
Ces propositions ont un caractère surréaliste : il n’y a rien sur une relance de la demande intérieure, notamment par la voie d’augmentations de salaires, réclamées par les syndicats allemands, rien sur un emprunt européen destiné à financer un programme d’infrastructures ou un effort dans le domaine si sensible de la recherche. Le plan européen est en contradiction complète avec la politique de relance américaine ou même au soutien de la demande intérieure que semble initier la Chine.
La Commission européenne propose au contraire de durcir le pacte de stabilité en réduisant à 60 % le montant de la dette publique, et pour cela de diminuer de 5 % par an l’encours dépassant cette norme, mise ainsi à égalité avec le plafond de 3% du PIB appliqué au déficit budgétaire. Cette proposition qui obligerait la France à un excédent annuel de 1,25 point du PIB, pour pouvoir se désendetter, à hauteur de 60 % dans les vingt ans qui viennent, est inacceptable.
Tout comme est inacceptable et même franchement ubuesque la taxation des pays en difficulté, au bénéfice des plus prospères, qui se partageraient le montant des amendes et le produit des intérêts des sommes mises en dépôt, au titre des nouvelles pénalités !
La Commission propose, en troisième lieu, un véritable coup de force institutionnel, en avançant l’idée d’un vote du Conseil « à la majorité inversée » pour l’application de ces sanctions : il suffirait de 35 % des voix au Conseil et de 45 % des Etats pour imposer ces amendes ou ces dépôts équivalant à 0,1 % ou 0,2 % du PIB. L’Allemagne, qui pèse 28% de la zone euro, n’aurait besoin que de l’appoint d’une demi-douzaine de petits Etats pour imposer ces sanctions. Je n’ai pas voté le traité de Lisbonne, mais je ne sache pas que celui-ci autorise, sur un sujet pareil, un tel mécanisme de vote « à la majorité inversée ». Il peut y avoir des décisions acquises par consensus mais, si on recourt au vote, celui-ci doit s’effectuer selon la procédure prévue par le traité.
La Commission formule d’autres propositions qui peuvent s’avérer dangereuses voire attentatoires à la démocratie : ainsi la prise en compte des exigences du pacte de stabilité à travers les règles d’élaboration des budgets nationaux. C’est probablement ce que M. Trichet appelait le « fédéralisme budgétaire », c’est-à-dire le retrait aux Parlements nationaux de leurs prérogatives budgétaires. Une telle voie, si elle était empruntée, retirerait toute légitimité démocratique à la construction européenne.
Plus raisonnable est la procédure d’évaluation des risques de déséquilibres macroéconomiques concernant par exemple l’endettement des ménages, dont on a vu qu’il pouvait, comme en Espagne, fragiliser la situation économique d’un pays satisfaisant pourtant parfaitement aux critères de Maastricht.
Certes, depuis les propositions faites le 29 septembre par la Commission, un accord franco-allemand est intervenu, le 18 octobre, à Deauville. Les termes en sont ambigus : les sanctions, dit le texte, devraient être « plus automatiques », tout en respectant le rôle des différentes institutions et l’équilibre institutionnel ». Pouvez-vous, Monsieur le Ministre, préciser le sens de ces formulations, qu’il s’agisse du volet préventif ou du volet coercitif ?
La déclaration franco-allemande souhaite aussi réviser les traités sur deux points, l’implication du secteur privé dans la résolution des crises et la pérennisation du mécanisme de stabilité financière par les Etats, quand il arrivera à échéance, c’est-à-dire en 2013.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces deux points ?
Enfin, la déclaration franco-allemande évoque la suspension des droits de vote d’un Etat qui aurait violé les principes de base de l’Union européenne. En quoi cette procédure extrêmement grave se différencie-t-elle fondamentalement de la proposition d’exclusion d’un pays de la zone euro faite par Mme Merkel, au printemps dernier ? Imagine-t-on un pays, tant soit peu soucieux de sa dignité, acceptant de faire partie d’une Union européenne qui lui aurait retiré voix au chapitre ?
Toutes ces propositions sont très dangereuses. Elles le sont d’autant plus qu’on a entendu la voix des éternels jusqu’au-boutistes, tel M. Trichet, s’élever pour dénoncer l’insuffisante rigueur du dispositif annoncé. Il est vrai qu’en sens contraire, nous avons entendu M. Martin Schultz, président du groupe du PSE au Parlement européen, déclarer que « la discipline n’était pas suffisante pour stimuler la croissance et la création d’emploi ». J’aimerais que cette formulation modérée inspire de votre part des propositions plus dynamiques, visant à relancer la croissance à l’échelle de la zone euro.
Le Conseil européen traitera d’autres points en matière économique : la réglementation financière, s’agissant notamment des « hedge funds ». Je crains que l’octroi d’un « passeport européen » par les autorités nationales, particulièrement britanniques mais pas seulement, ne permette pas de contrôler véritablement l’origine de ces fonds. Madame Lagarde a évoqué, Monsieur le Ministre, le rôle de la nouvelle « autorité européenne des marchés » pour « fixer la règle du jeu » à travers un « pouvoir d’injonction ». Quel sera ce pouvoir, Monsieur le Ministre, quand on sait que ces « hedges funds » sont à l’origine de la moitié des transactions quotidiennes ? Madame Lagarde a déclaré vouloir concilier la protection des investisseurs et la mobilité des capitaux. Ne serait-il pas plus opportun de freiner celle-ci, par l’imposition d’une taxe sur les transactions financières, autre sujet qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen ?
II – Le Conseil européen aura également à son menu la préparation du G20 qui se tiendra à Séoul les 11 et 12 novembre prochains, s’agissant de ce qu’on a appelé « la guerre des monnaies ».
Le Président de la République, devant la Conférence des ambassadeurs, le 27 août dernier, a parlé d’un « non-système monétaire international ». Il s’est interrogé sur trois points :
• la mobilité des capitaux en réclamant des règles multilatérales ;
• la domination d’une seule monnaie, en souhaitant un rôle accru pour les droits de tirage spéciaux (DTS) ;
• enfin une meilleure coordination des politiques économiques et monétaires des grandes zones économiques, en souhaitant la tenue, en Chine, d’un séminaire sur les questions monétaires pour réfléchir au système monétaire international qui pourrait succéder à Bretton Woods.
Ces suggestions sont pertinentes et il est souhaitable que le Président de la République les reprenne quand la France présidera le G20. Mais le sommet des ministres des Finances, qui s’est tenu en Corée, le 23 octobre dernier, a démontré combien il y a loin de la coupe aux lèvres !
M. Geithner, Secrétaire d’Etat américain au Trésor, a demandé aux pays ayant des excédents commerciaux persistants – Chine, Allemagne, Arabie Séoudite notamment, de soutenir la demande mondiale. Les Américains ont évoqué la fixation d’une bande de fluctuation des excédents et des déficits comprise entre + 4 % et – 4 % du PIB des pays concernés, au premier rang desquels la Chine et l’Allemagne. Le ministre allemand de l’Economie, M. Brüderle, a riposté en déclarant qu’« une manipulation excessive et permanente des liquidités constituait une manipulation indirecte du taux de change. » Les ministres ont finalement renvoyé aux chefs d’Etat l’élaboration d’un Code de bonne conduite. La seule décision prise concerne la gouvernance du FMI, c’est-à-dire le transfert non plus de 5 % mais de 6% des quotes-parts et des droits de vote des Européens vers les pays émergents. Je regrette que l’Europe, aujourd’hui prise dans les tenailles du G2 entre un dollar et un yuan trop faibles par rapport à un euro de plus en plus surévalué, n’aient pas inscrit cette concession dans un accord plus global avec les Etats-Unis et la Chine.
À vrai dire, contrairement à Madame Lagarde, je ne suis pas très optimiste sur la capacité du G20 à dégager de manière consensuelle les lignes de force d’un nouveau système monétaire international. Le recours par les Etats-Unis à la planche à billets pour 1 700 milliards de dollars suscitera moins la reprise de l’économie américaine qu’un nouvel affaiblissement du dollar qui sapera inévitablement la compétitivité des produits européens, je pense particulièrement à Airbus, à nos industries de défense, à nos fabricants d’hélicoptères, mais aussi à notre industrie automobile. Ce sera un puissant encouragement à la poursuite des délocalisations industrielles et au redéploiement de nos grands groupes vers les pays émergents ou à monnaie faible. D’autant que le yuan ne s’est que très faiblement apprécié – 2,7 % - depuis qu’en juin dernier, les autorités chinoises ont accepté, en paroles, le principe de sa réévaluation. Bref, ce sera un nouveau coup d’accélérateur donné à la désindustrialisation de la France. M. Schaüble, le ministre allemand des Finances, a déclaré que « l’évolution du système monétaire international vers un système multipolaire serait bénéfique, si un tel processus est graduel, progressif et dirigé par les forces du marché, reflétant les décisions autonomes des agents privés et publics. » Cette formulation, excessivement prudente, traduit l’appétence traditionnelle de l’Allemagne pour un euro fort. Il n’est pas douteux qu’il y a là une différence d’approche préoccupante entre la France et l’Allemagne, d’autant que les pays méditerranéens déficitaires sont trop soumis à la pression des marchés financiers pour oser soutenir, comme ce serait leur intérêt, les positions que, bien souvent, la France prend en leur nom, autant sinon davantage qu’au sien propre.
La « guerre des monnaies » peut susciter un retour de politiques protectionnistes, notamment aux Etats-Unis. Le déficit commercial américain est abyssal – près de 700 milliards de dollars par an – et la désindustrialisation des Etats-Unis ne se corrigera pas facilement. Ce Conseil européen, Monsieur le Ministre, est crucial pour dégager un compromis acceptable entre l’Allemagne d’une part, la France et l’Europe méditerranéenne d’autre part. N’acceptez pas l’automaticité des sanctions vis-à-vis des pays qui ne peuvent réduire rapidement leurs déficits ! Préservez la place et le rôle du politique dans les institutions européennes ! Refusez la dérive technocratique et disciplinaire qui se pare du masque d’un pseudo « fédéralisme », en réalité anti-démocratique !
Essayez de convaincre l’Allemagne qu’elle a tout à gagner à défendre, au-delà de ses intérêts propres, les intérêts de l’Europe tout entière ! Encouragez la BCE à pratiquer une politique de détente monétaire plus forte pour éviter la déflation qui menace plusieurs pays de la zone euro. Ne donnez pas carte blanche à M. Axel Weber ! Introduisez quelques grains de sable dans le fonctionnement des marchés financiers. Défendez les intérêts de l’Europe face au G2, cette alliance conflictuelle des Etats-Unis et de la Chine qui sont comme le ying et le yang de ce début du XXIe siècle. Et surtout défendez les intérêts de la France dont personne ne se souciera, si vous les oubliez. Je mesure la difficulté de votre tâche.
« Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre », disait Guillaume d’Orange. Il ajoutait « ni de réussir pour persévérer ». Il y a cependant des limites à l’échec d’une politique. Quand une politique échoue, depuis trop longtemps, comme c’est le cas du choix de la monnaie unique fait à Maastricht, le courage, l’audace, le souci de la France et des générations futures peuvent commander d’en changer ! Soit vous changez les règles du jeu, en accord avec nos partenaires mais dans le sens de la relance et pas de la déflation, Monsieur le Ministre, soit vous changez de jeu, en jouant, rudement s’il le faut, le seul jeu de la France !
De cela je ne me réjouis pas, parce que cette impasse a quelque chose de tragique et que les initiatives du Président de la République au plan international, pour méritoires qu’elles apparaissent souvent, ne me semblent pas à la hauteur des problèmes posés.
I – Commençons par la politique économique dans l’Union européenne et particulièrement par ce qu’on appelle « gouvernance économique »
La Commission européenne a proposé, le 29 septembre dernier, un ensemble complet de mesures législatives. Quatre propositions visant à réformer le pacte de stabilité, deux autres à prévenir les déséquilibres macroéconomiques dans l’Union européenne et dans la zone euro. L’essentiel tient en un appareil coercitif de sanctions : dépôts portant ou non intérêts et amendes s’appliquant aux Etats qui s’écarteraient d’une politique budgétaire « prudente » (qui définira cette prudence ?) ou qui se trouveraient en situation de déficit excessif.
Ces propositions ont un caractère surréaliste : il n’y a rien sur une relance de la demande intérieure, notamment par la voie d’augmentations de salaires, réclamées par les syndicats allemands, rien sur un emprunt européen destiné à financer un programme d’infrastructures ou un effort dans le domaine si sensible de la recherche. Le plan européen est en contradiction complète avec la politique de relance américaine ou même au soutien de la demande intérieure que semble initier la Chine.
La Commission européenne propose au contraire de durcir le pacte de stabilité en réduisant à 60 % le montant de la dette publique, et pour cela de diminuer de 5 % par an l’encours dépassant cette norme, mise ainsi à égalité avec le plafond de 3% du PIB appliqué au déficit budgétaire. Cette proposition qui obligerait la France à un excédent annuel de 1,25 point du PIB, pour pouvoir se désendetter, à hauteur de 60 % dans les vingt ans qui viennent, est inacceptable.
Tout comme est inacceptable et même franchement ubuesque la taxation des pays en difficulté, au bénéfice des plus prospères, qui se partageraient le montant des amendes et le produit des intérêts des sommes mises en dépôt, au titre des nouvelles pénalités !
La Commission propose, en troisième lieu, un véritable coup de force institutionnel, en avançant l’idée d’un vote du Conseil « à la majorité inversée » pour l’application de ces sanctions : il suffirait de 35 % des voix au Conseil et de 45 % des Etats pour imposer ces amendes ou ces dépôts équivalant à 0,1 % ou 0,2 % du PIB. L’Allemagne, qui pèse 28% de la zone euro, n’aurait besoin que de l’appoint d’une demi-douzaine de petits Etats pour imposer ces sanctions. Je n’ai pas voté le traité de Lisbonne, mais je ne sache pas que celui-ci autorise, sur un sujet pareil, un tel mécanisme de vote « à la majorité inversée ». Il peut y avoir des décisions acquises par consensus mais, si on recourt au vote, celui-ci doit s’effectuer selon la procédure prévue par le traité.
La Commission formule d’autres propositions qui peuvent s’avérer dangereuses voire attentatoires à la démocratie : ainsi la prise en compte des exigences du pacte de stabilité à travers les règles d’élaboration des budgets nationaux. C’est probablement ce que M. Trichet appelait le « fédéralisme budgétaire », c’est-à-dire le retrait aux Parlements nationaux de leurs prérogatives budgétaires. Une telle voie, si elle était empruntée, retirerait toute légitimité démocratique à la construction européenne.
Plus raisonnable est la procédure d’évaluation des risques de déséquilibres macroéconomiques concernant par exemple l’endettement des ménages, dont on a vu qu’il pouvait, comme en Espagne, fragiliser la situation économique d’un pays satisfaisant pourtant parfaitement aux critères de Maastricht.
Certes, depuis les propositions faites le 29 septembre par la Commission, un accord franco-allemand est intervenu, le 18 octobre, à Deauville. Les termes en sont ambigus : les sanctions, dit le texte, devraient être « plus automatiques », tout en respectant le rôle des différentes institutions et l’équilibre institutionnel ». Pouvez-vous, Monsieur le Ministre, préciser le sens de ces formulations, qu’il s’agisse du volet préventif ou du volet coercitif ?
La déclaration franco-allemande souhaite aussi réviser les traités sur deux points, l’implication du secteur privé dans la résolution des crises et la pérennisation du mécanisme de stabilité financière par les Etats, quand il arrivera à échéance, c’est-à-dire en 2013.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces deux points ?
Enfin, la déclaration franco-allemande évoque la suspension des droits de vote d’un Etat qui aurait violé les principes de base de l’Union européenne. En quoi cette procédure extrêmement grave se différencie-t-elle fondamentalement de la proposition d’exclusion d’un pays de la zone euro faite par Mme Merkel, au printemps dernier ? Imagine-t-on un pays, tant soit peu soucieux de sa dignité, acceptant de faire partie d’une Union européenne qui lui aurait retiré voix au chapitre ?
Toutes ces propositions sont très dangereuses. Elles le sont d’autant plus qu’on a entendu la voix des éternels jusqu’au-boutistes, tel M. Trichet, s’élever pour dénoncer l’insuffisante rigueur du dispositif annoncé. Il est vrai qu’en sens contraire, nous avons entendu M. Martin Schultz, président du groupe du PSE au Parlement européen, déclarer que « la discipline n’était pas suffisante pour stimuler la croissance et la création d’emploi ». J’aimerais que cette formulation modérée inspire de votre part des propositions plus dynamiques, visant à relancer la croissance à l’échelle de la zone euro.
Le Conseil européen traitera d’autres points en matière économique : la réglementation financière, s’agissant notamment des « hedge funds ». Je crains que l’octroi d’un « passeport européen » par les autorités nationales, particulièrement britanniques mais pas seulement, ne permette pas de contrôler véritablement l’origine de ces fonds. Madame Lagarde a évoqué, Monsieur le Ministre, le rôle de la nouvelle « autorité européenne des marchés » pour « fixer la règle du jeu » à travers un « pouvoir d’injonction ». Quel sera ce pouvoir, Monsieur le Ministre, quand on sait que ces « hedges funds » sont à l’origine de la moitié des transactions quotidiennes ? Madame Lagarde a déclaré vouloir concilier la protection des investisseurs et la mobilité des capitaux. Ne serait-il pas plus opportun de freiner celle-ci, par l’imposition d’une taxe sur les transactions financières, autre sujet qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen ?
II – Le Conseil européen aura également à son menu la préparation du G20 qui se tiendra à Séoul les 11 et 12 novembre prochains, s’agissant de ce qu’on a appelé « la guerre des monnaies ».
Le Président de la République, devant la Conférence des ambassadeurs, le 27 août dernier, a parlé d’un « non-système monétaire international ». Il s’est interrogé sur trois points :
• la mobilité des capitaux en réclamant des règles multilatérales ;
• la domination d’une seule monnaie, en souhaitant un rôle accru pour les droits de tirage spéciaux (DTS) ;
• enfin une meilleure coordination des politiques économiques et monétaires des grandes zones économiques, en souhaitant la tenue, en Chine, d’un séminaire sur les questions monétaires pour réfléchir au système monétaire international qui pourrait succéder à Bretton Woods.
Ces suggestions sont pertinentes et il est souhaitable que le Président de la République les reprenne quand la France présidera le G20. Mais le sommet des ministres des Finances, qui s’est tenu en Corée, le 23 octobre dernier, a démontré combien il y a loin de la coupe aux lèvres !
M. Geithner, Secrétaire d’Etat américain au Trésor, a demandé aux pays ayant des excédents commerciaux persistants – Chine, Allemagne, Arabie Séoudite notamment, de soutenir la demande mondiale. Les Américains ont évoqué la fixation d’une bande de fluctuation des excédents et des déficits comprise entre + 4 % et – 4 % du PIB des pays concernés, au premier rang desquels la Chine et l’Allemagne. Le ministre allemand de l’Economie, M. Brüderle, a riposté en déclarant qu’« une manipulation excessive et permanente des liquidités constituait une manipulation indirecte du taux de change. » Les ministres ont finalement renvoyé aux chefs d’Etat l’élaboration d’un Code de bonne conduite. La seule décision prise concerne la gouvernance du FMI, c’est-à-dire le transfert non plus de 5 % mais de 6% des quotes-parts et des droits de vote des Européens vers les pays émergents. Je regrette que l’Europe, aujourd’hui prise dans les tenailles du G2 entre un dollar et un yuan trop faibles par rapport à un euro de plus en plus surévalué, n’aient pas inscrit cette concession dans un accord plus global avec les Etats-Unis et la Chine.
À vrai dire, contrairement à Madame Lagarde, je ne suis pas très optimiste sur la capacité du G20 à dégager de manière consensuelle les lignes de force d’un nouveau système monétaire international. Le recours par les Etats-Unis à la planche à billets pour 1 700 milliards de dollars suscitera moins la reprise de l’économie américaine qu’un nouvel affaiblissement du dollar qui sapera inévitablement la compétitivité des produits européens, je pense particulièrement à Airbus, à nos industries de défense, à nos fabricants d’hélicoptères, mais aussi à notre industrie automobile. Ce sera un puissant encouragement à la poursuite des délocalisations industrielles et au redéploiement de nos grands groupes vers les pays émergents ou à monnaie faible. D’autant que le yuan ne s’est que très faiblement apprécié – 2,7 % - depuis qu’en juin dernier, les autorités chinoises ont accepté, en paroles, le principe de sa réévaluation. Bref, ce sera un nouveau coup d’accélérateur donné à la désindustrialisation de la France. M. Schaüble, le ministre allemand des Finances, a déclaré que « l’évolution du système monétaire international vers un système multipolaire serait bénéfique, si un tel processus est graduel, progressif et dirigé par les forces du marché, reflétant les décisions autonomes des agents privés et publics. » Cette formulation, excessivement prudente, traduit l’appétence traditionnelle de l’Allemagne pour un euro fort. Il n’est pas douteux qu’il y a là une différence d’approche préoccupante entre la France et l’Allemagne, d’autant que les pays méditerranéens déficitaires sont trop soumis à la pression des marchés financiers pour oser soutenir, comme ce serait leur intérêt, les positions que, bien souvent, la France prend en leur nom, autant sinon davantage qu’au sien propre.
La « guerre des monnaies » peut susciter un retour de politiques protectionnistes, notamment aux Etats-Unis. Le déficit commercial américain est abyssal – près de 700 milliards de dollars par an – et la désindustrialisation des Etats-Unis ne se corrigera pas facilement. Ce Conseil européen, Monsieur le Ministre, est crucial pour dégager un compromis acceptable entre l’Allemagne d’une part, la France et l’Europe méditerranéenne d’autre part. N’acceptez pas l’automaticité des sanctions vis-à-vis des pays qui ne peuvent réduire rapidement leurs déficits ! Préservez la place et le rôle du politique dans les institutions européennes ! Refusez la dérive technocratique et disciplinaire qui se pare du masque d’un pseudo « fédéralisme », en réalité anti-démocratique !
Essayez de convaincre l’Allemagne qu’elle a tout à gagner à défendre, au-delà de ses intérêts propres, les intérêts de l’Europe tout entière ! Encouragez la BCE à pratiquer une politique de détente monétaire plus forte pour éviter la déflation qui menace plusieurs pays de la zone euro. Ne donnez pas carte blanche à M. Axel Weber ! Introduisez quelques grains de sable dans le fonctionnement des marchés financiers. Défendez les intérêts de l’Europe face au G2, cette alliance conflictuelle des Etats-Unis et de la Chine qui sont comme le ying et le yang de ce début du XXIe siècle. Et surtout défendez les intérêts de la France dont personne ne se souciera, si vous les oubliez. Je mesure la difficulté de votre tâche.
« Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre », disait Guillaume d’Orange. Il ajoutait « ni de réussir pour persévérer ». Il y a cependant des limites à l’échec d’une politique. Quand une politique échoue, depuis trop longtemps, comme c’est le cas du choix de la monnaie unique fait à Maastricht, le courage, l’audace, le souci de la France et des générations futures peuvent commander d’en changer ! Soit vous changez les règles du jeu, en accord avec nos partenaires mais dans le sens de la relance et pas de la déflation, Monsieur le Ministre, soit vous changez de jeu, en jouant, rudement s’il le faut, le seul jeu de la France !