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Afghanistan: l'effacement du Ministre des Affaires étrangères


Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors du débat sur l’Afghanistan au Sénat, lundi 16 novembre 2009.


Monsieur le Ministre,

Je lis dans l’interview que vous avez donnée, il y a deux jours, dans le journal Le Monde daté du 14 novembre : « Nous en sommes encore à attendre la décision du Président Obama sur sa stratégie en Afghanistan. On ne va pas s’opposer aux Américains en Afghanistan. Mais pour discuter, nous avons besoin d’une stratégie européenne. » Vous ne sauriez avouer plus crûment votre absence de stratégie !

Vous ajoutez : « Nous préparons un papier avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan ». Comment démontrer mieux l’inexistence de l’Europe en l’absence de « ce papier », comme vous dites ? Vous vous retranchez donc derrière une Europe de papier pour ne pas répondre à la question de savoir ce que la France fait en Afghanistan.

Parlez-nous plutôt de la France, Monsieur le Ministre, que fait-elle en Afghanistan ?

Il est vrai que dans la même interview, vous déclarez : « Quand il y aura un haut représentant européen fort, nous les ministres des Affaires Etrangères, nous aurons moins d’importance. C’est comme ça : il faut croire à l’Europe ! »

Mais si vous n’avez déjà plus aucune importance, Monsieur le Ministre, pourquoi organiser ce débat ? Je m’étonne, au passage, qu’un gouvernement dont le ministre des Affaires Etrangères revendique aussi fort son effacement, veuille encore nous parler de l’identité nationale de la France et de son indépendance, ravalée au rang des accessoires par le « mini-traité » de Lisbonne !

Faisons un rêve, Monsieur le Ministre, vous êtes resté le Ministre des Affaires Etrangères de la France.

Le Président de la République dont vous tirez votre légitimité vous a désigné pour cela. Faites connaître, avant même que M. Obama ait pris sa décision concernant l’envoi ou non des renforts que lui demande le général Mac Chrystal, la position de la France.

Les buts politiques de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan sont une chose. La stratégie qui consiste en la mise en œuvre des moyens militaires nécessaires pour les atteindre en est une autre. Or, les buts politiques de l’intervention de l’OTAN ne sont pas aujourd’hui clairement définis. Il n’est donc pas opportun d’appuyer les demandes de renfort exprimées par le Général Mac Chrystal, commandant l’ISAF.

Les raisons de l’intervention de 2001 étaient justifiées au départ (priver Al Quaïda d’un sanctuaire). Elles ont largement évolué depuis lors vers la construction d’un Etat démocratique, comme l’a affirmé le sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, M. Bush étant encore Président des Etats-Unis. Tâche aujourd’hui hors de portée à supposer qu’elle ait été jamais accessible.

On ne peut en effet occulter l’énorme effet de pollution exercé par l’invasion de l’Irak en 2003 sur l’évolution du conflit afghan. Le temps perdu ne se rattrape pas. Il n’est pas possible d’exporter la démocratie dans un pays étranger a fortiori quand il s’agit d’un pays aussi différent des pays occidentaux que l’Afghanistan. On ne peut pas plaquer du dehors une Constitution « à l’occidentale » sur un pays comme l’Afghanistan pour imposer nos conceptions en matière de gouvernance et d’Etat de droit.

C’est l’élection d’un nouveau Président américain, Barack Obama, et la rupture qu’il a déclaré vouloir opérer dans les relations des Etats-Unis avec les pays musulmans qui autorisent aujourd’hui une réévaluation de la situation. L’objectif de l’ISAF ne peut être de s’installer durablement en Afghanistan où la tête d’Al Quaïda ne se trouve vraisemblablement plus.

Le retrait doit donc être affirmé comme l’objectif normal de l’intervention militaire. Quelles conditions est-il légitime de mettre à ce retrait ?

Sept ans après son accession au pouvoir, le Président Karzaï ne dispose plus d’une légitimité suffisante. La restauration préalable de l’Etat afghan conditionne la montée en puissance d’une armée et d’une police afghanes mues par un véritable patriotisme. Pour faire surgir un pouvoir légitime, on ne peut faire l’économie de la société elle-même, de ses traditions et de ses mœurs politiques.

Les objectifs politiques de la présence militaire de l’OTAN doivent donc être redéfinis :

1. d’abord, le rejet par la révolte nationale pachtoune du terrorisme internationaliste d’Al Quaïda ;
2. ensuite, la constitution d’un gouvernement d’union nationale n’excluant aucune composante du peuple afghan, ratifié par une Loya Jirga conformément à la tradition du pays ;
3. enfin, la neutralisation de l’Afghanistan dans le cadre d’une conférence internationale incluant les pays voisins.

C’est seulement en attendant que ces conditions soient réunies, qu’il est légitime de maintenir une pression militaire reposant sur un principe d’économie des forces mais sans engagement de calendrier.

L’OTAN doit choisir une stratégie soutenable à long terme, avec des moyens limités. L’opinion publique occidentale doit pouvoir, en effet, soutenir cette stratégie et ne pas être pour celle-ci un facteur d’affaiblissement.

Enfin, aucune stratégie en Afghanistan ne peut faire l’économie de la coopération active du Pakistan dont la communauté internationale doit soutenir la réorientation démocratique et la modernisation. Pour y parvenir, il faut rechercher la normalisation des rapports indo-pakistanais et sino-indiens. Les pays voisins doivent aider à la restauration de la paix en Afghanistan. C’est d’abord leur affaire et pas la nôtre.

La définition des objectifs politiques ne doit pas être laissée aux militaires : ceux-ci demandent toujours des renforts. La stratégie de la « contre-insurrection » n’a de chances à long terme que si elle est menée par des éléments autochtones, non par une armée occidentale dans un pays musulman. La France en a fait l’expérience en Algérie où ni l’envoi du contingent, ni la « pacification », ni le « Plan de Constantine » n’ont suffi à gagner les cœurs de la population. Les Etats-Unis ont fait la même expérience au Vietnam et en Irak.

Voilà, Monsieur le Ministre, la voix que la France devrait faire entendre au Président Obama avant qu’il arrête sa décision. La présence de 3 500 soldats français en Afghanistan vous oblige à prendre, au nom de la France, une position raisonnée. Si elle l’est et si le Président Sarkozy sait l’exprimer avec force, elle sera entendue. Ne vous réfugiez pas derrière un papier dit « européen » qui ne dira rien et dont les Américains, bien sûr, ne tiendront aucun compte.

Faites entendre la voix de la France Monsieur le Ministre. C’est comme ça : il faut y croire !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Lundi 16 Novembre 2009 à 21:20 | Lu 5142 fois



1.Posté par Monique MATHIEU le 16/11/2009 23:40
BRAVO !
ce sont bien ces propos, cette clarté et ce courage Politiques qui font que nous restons encore "adhérents du MRC". Dommage que ce petit mouvement soit squatté dans certaines fédérations (par exemple celle de Paris) par des "nuisibles incompétents" et que ce discours, comme tous les autres, n'auront désormais plus d'échos dans la population.
Mais, bon, tout peut changer paraît-il.
En tout cas, "respect" comme disent les djeunes.

2.Posté par D. Servantie le 17/11/2009 00:34
Excellente intervention de Jean-Pierre Chevènement, pleine de lyrisme et de passion! Oui il faut croire à une voix de la France indépendante, forte, juste et engagée. Plus que jamais, mais ça n'est pas avec ce gouvernement atlantiste que nous y arriverons. Alors que nous sommes en Afghanistan, nous réduisons nos effectifs militaires dans nos sphères traditionnelles d'influence que sont l'Afrique et le Moyen-Orient selon le dernier livre blanc du Ministère de la Défense. Cette politique atlantiste qui suit de plus en plus l'OTAN met notre pays à la remorque de la stratégie anglo-saxonne alors que nous pourrions avec les Allemands et d'autres contribuer à faire de l'Europe un pôle indépendant militairement des États-Unis. M. Chevènement le rappelle très bien. Cette politique ainsi ne dessert ainsi en rien les intérêts premiers de la Nation!

3.Posté par Garçon le 17/11/2009 21:31
Bonsoir,

Excellente intervention.

Je pense que dans ce cadre institutionnel, il était difficile d'aller beaucoup plus loin dans le dévoilemnt de la Vérité. C'est déjà bien d'avoir affirmé que Ben-Laden nétait sans doute plus la-bas....
Cependant, avant de proposer un plan de "stabilisation temporaire" dans l'attente d'une stratégie claire des euro-américains, peut-être est-il, enfin possible, de se re-poser la raison de l'engagement de nos troupes sur le sol afghan, qui n'avaient, d'ailleurs, à l'époque qu'une mission de formation. En effet, la participation des troupes française découle directement des attentats du 11 Septembre 2001.
La remise en cause, de plus en plus affirmée, de la thése officielle des attentats de 2001, au point que m.Obama peine à trouver de jeunes américains à envoyer en opération, légitimise amplement cette question.
Cette interrogation est bien-sûr amplifiée par d'autres anomalies qui ne peuvent qu'interpeler le Peuple. Comment expliquer, par exemple, qu'un pays occupé depuis plus de 30 ans est aujourd'hui le premier exportateur mondial d'héroîne ???!!!! Même en admettant la présence de réseau de contrebande que nos dociles journalistes nous donnent en guise d'explication, je trouve particulièrement "troublant' le fait que les cultures nécessaires à cette production de masse ne puisse être détectée et donc détruites. On n'est pas le premier exportateur en cultivant du pavot sur son balcon....
Sans rentrer dans des considérations géo-politiques complexes, qui ne passionnent malheureusement qu'une minorité de nos concitoyens, sans doute avons-nous là, deux motifs d'interrogations sérieux mais populaires et donc susceptibles de mettre à mal le le pouvoir actuel.


A +. Amitiés résistantes.



4.Posté par ibrahim le 19/11/2009 00:23
ouf cela fait plaisir d entendre un peu de sérieux de quelqu'un de sensé car il y a longtemps que le docteur (in)humanitaire ne s abaisse plus a penser avec ses neurones et c est très bien que mr CHEVENEMENT le fasse sortir de sa longue léthargie.peine perdue il doit y être retombe depuis .on voit très bien que ce n est pas lui qui risque sa peau tout les jours et qui contribue a cet énorme effort de guerre dont nous ne voyons aucun bénéfice pour le peuple de FRANCE si ce n est d être traite a l étranger de néo-colonisateurs.nous devrions avoir plus d hommes courageux tels que mr CHEVENEMENT aux commandes du bateau FRANCE pour redorer l image ternie par ce gouvernement qui ne s occupe que de ses intérêts et laisse choir ceux de la nation et par la même ceux du monde chapeau bas et respects mister CHEVENEMENT

5.Posté par henri34 le 19/11/2009 17:13
Bravo pour avoir sermonné un ministre béni oui oui de Washington.Bravo pour avoir souligné que le processus démocratique adopté là bas était de la poudre aux yeux.Quant on est républicain il peut paraître idiot de regretter qu'un roi n'ait pas été réinstallé mais dans un pays aux structures féodales bouleversées par 30 ans de guerre celà aurait pu être un premier pas menant vers des états généraux assortis d'aide internationale.
Un détail qui compte pour moi même s'il n'y a pas d'écho dans les médias.Jean Michel Boucheron député socialiste et expert défense au PS vient d'être élu à l'unanimité vice président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.La mourtarde de Dijon m'en monte au nez.Une voix de moins pour le PS au 2eme tour de toute élection.

6.Posté par bluerider le 23/11/2009 23:38
bravo M. Chevènement. Les manoeuvres de nos quadras et quinquas en clottes courtes qui jouent les fringants sur la "cène" internationale sont pitoyables, et si peu transparentes.

Depuis vos fonctions ministérielles, votre refus de vousjoindre à "desert storm", vous êtes un des rares hauts fonctionnaire de notre républqiue a avoir eu la clairvoyance en matière de géopolitique internationale.

Votre collègue Sénateur M. Mélenchon également, auteur d'un fort bon billet sur l'Afghanistan N°623 sur son blog.

Je reste médusé de constater chaque jour, à quel point les français demeurent indifférents sur ce qui se joue dans les cailloux afghans: rien moins que l'avenir même de notre démocratie, mais pas dans le sens des valeurs atlantistes honteuses auxquelles veut nous faire adhérer à tout prix notre executif flanqué d'une poignée de bobos au teint bien rose, non, exactement dans le sens contraire, celui du déshonneur durable dans le monde oriental, du plus tribal au plus progressiste, de tout l'occident, qui paye aujourd'hui les errements bellicistes coûteux de ses dirigeants.

7.Posté par bluerider le 23/11/2009 23:47
il est aujourd'hui prouvé même par la presse officielle, c'est dire, que les convois de ravitaillement US et OTAN payent cher pour leur sécurité auprès des chefs de guerre taleban. Alors je pose cette question: sachant que selon le vieil adage "la nature a horreur du vide", que contiennent tous ces camions au retour de leur mission de ravitaillement? Des cacahuètes? M. Jimmy Carter ira-t-il y regarder de plus près? Ou un journaliste qui aurait LA bonne idée du siècle (au moins depuis, disons, le 11/9/2001)? Pourquoi payer si cher ces taleban? La CIA a trafiqué avec le FBI entre la Colombie et MIami dans les années 80. les mêmes avions de compagnies écran de la CIA ont été vus en Afghanistan aussi, et un peu partout au Maghreb pendant les "extraordinary renditions" qui ont tant scandalisé MM. Marty (CE) et Fava (UE). Se pourrait-il que....

Tous les moyens sont bons pour financer les opérations clandestines américaines et de l'OTAN. Alors pourquoi pas ces convois de camions en Afghanistan.

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