Verbatim
Partie 1
Partie 1
- L'accord de Minsk 2 est une victoire du bon sens. C'est aussi une victoire de François Hollande, qui avait entrepris de longue date une sorte de médiation dans cette affaire.
- Je m'étais rendu en Russie, au début du mois de mai 2014, pour rencontrer Vladimir Poutine, à la demande de François Hollande, avec une lettre de sa part que j'ai transmise à Vladimir Poutine. Nous avons eu un long entretien, en tête à tête, pour essayer de débroussailler cette question difficile, qu'on aurait pu éviter.
- La crise ukrainienne est très largement née d'un mal-entendu. Dans le cadre du Partenariat oriental, l'UE a négocié avec l'Ukraine un accord d'association, c'est à dire de libre-échange, en « oubliant » qu'il y avait déjà un libre-échange entre la Russie et l'Ukraine, que ces deux économies étaient très intriquées, et que tout cela allait poser beaucoup de problèmes compte tenu de la situation financière difficile de l'Ukraine. Poutine m'a dit qu'il était allé en janvier 2014 à Bruxelles, pour demander à voir M. Barrosso, et puis d'autres, et on lui a répondu : « Mais cette affaire ne vous regarde pas ». Et je vais vous rapporter quelque chose qui vous surprendra, ce qu'on lui a répondu, c'est : « Allez vous faire foutre ! ». « L'Ukraine est un pays souverain, vous n'avez absolument rien à voir dans la négociation d'un accord d'association entre l'UE et l'Ukraine ».
Sur le dossier ukrainien
- Il y a un accord qui a été négocié. L'UE a mis 560 millions de dollars sur la table, les Russes 15 milliards, un rabais du prix du gaz, et Yanoukovitch, président de l'Ukraine à ce moment là, qui a très mauvaise réputation, mais enfin qui a quand même été élu, a dit qu'on allait reporter l'accord avec l'UE pour regarder un peu ce qu'il y a dedans. J'observe qu'aujourd'hui on a reporté à la fin-2015 la mise en œuvre de cet accord, qui pose évidemment beaucoup de problèmes.
- Peu de gens (parmi les élites) connaissent les problèmes de l'Ukraine. La plupart ne savent même pas situer l'Ukraine sur une carte ! Ils ne savent pas que c'est un pays hétérogène, dont la partie occidentale a appartenu à l'Autriche-Hongrie avant 1914, à la Pologne avant 1939, tandis que l'est faisait partie de la Russie comme la Franche-Comté de la France.
- L'Europe ne doit pas se construire contre la Russie. Quiconque connaît le peuple russe sait que c'est un peuple européen, que la Russie apporte beaucoup à la culture européenne.
- Je me réjouis de l'initiative commune franco-allemande, remarquable, d'autant plus que jusqu'à maintenant, la France et l'Allemagne n'ont pas vraiment tiré ensemble dans la même direction.
- Il y a des gens qui voudraient ressusciter la Guerre froide, parce qu'ils n'ont pas de culture. Ils sont les héritiers d'une façon de voir, et puis si on raisonne en géopolitique, il y a des gens pour qui l'Ukraine a quelque chose de spécifique. Brezinski, qui a été un conseiller de Carter, et qui reste une personnalité influente aux USA, a écrit dans un livre de 1998 que, pour empêcher la Russie de redevenir une grande puissance, il fallait soustraire l'Ukraine à son influence. Il a un peu changé d'avis aujourd'hui. Mais j'observe qu'il y a les révolutions de couleurs, la Révolution Orange en 2004, qu'en 2008 les USA de Bush voulaient faire entre l'Ukraine dans l'OTAN – la France et l'Allemagne s'y étaient opposées...
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Partie 2
Sur le dossier ukrainien (suite)
Partie 2
Sur le dossier ukrainien (suite)
- Ma rencontre avec Poutine en mai 2014 avait aussi pour objet de préparer sa venue en France, à l'occasion des célébrations de commémoration du Débarquement, et notamment sa rencontre avec Porochenko – c'est le format Normandie, qui s'est imposé progressivement, et qui hier a obtenu des résultats remarquables.
- Je me suis rendu depuis à Moscou, quand c'était utile. J'y suis allé au mois de septembre pour voir le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine. Je m'efforce, en tant que représentant économique de la diplomatie française en Russie, de développer nos échanges avec la Russie. C'est 9 milliards d'exportations pour nous en 2012, le seul marché du monde avec Singapour où la France a gagné des parts de marché depuis 2000, où il y a des enjeux stratégiques colossaux.
- Pourquoi l'accord a abouti ? Je pense qu'il y avait la volonté de François Hollande de ne pas laisser entrer l'Europe dans un processus de Guerre froide. Les Allemands étaient plus partagés, malgré leurs considérables intérêts économiques en Russie, parce qu'ils sont également soumis aux pressions des États-Unis.
- Après la tentative d'adhésion à l'OTAN, il y a eu la tentative d'accord d'association, les événements de Maiden, qui peuvent être vus comme une révolution, si on se place du côté européen, et comme un coup d'Etat si on se place du point de vue russe... N'est-il pas idiot de vouloir enfermer l'Ukraine dans un choix impossible : l'Europe ou la Russie ? L'Ukraine est entre la Russie et l'Europe !
- Les sanctions ont un effet très rude sur la Russie, mais aussi sur nous. Nos exportations vers la Russie vont diminuer de 3 milliards, ce qui n'est pas tout à fait négligeable quand on a un déficit commercial de 53 milliards. Cela dit l'effet des sanctions est bien moindre que l'écroulement des prix du pétrole, passé de 115$ le baril au mois de juin à 55 aujourd'hui. C'est 35% du PIB russe, la moitié des recettes fiscales, 60% des exportations russes, c'est donc une variable fondamentale, et Poutine est obligé de tenir compte de tout cela.
- Il faut écouter la Russie, prendre en compte ce qu'elle dit, si on veut construire une grande Europe. Avoir avec un partenariat avec la Russie, c'est l'intérêt de tous les européens, c'est le bon sens.
- Peut-être qu'il vaut mieux dépendre de la Russie pour le gaz que du Qatar, enfin ça se discute !
- François Hollande a montré beaucoup de détermination, beaucoup de conviction dans cette affaire là. Il a obtenu ce résultat, ces accords, il faut le mettre à son actif. C'est un homme très calme, et ce sang froid, cette sérénité a été apprécié en cette circonstance, et aussi au début de l'année au moment des attentats, et cela n'empêche pas la détermination.
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Partie 3
Partie 3
- Je ne m'exprime pas sur l'affaire DSK. Cela ne m'intéresse pas.
Après les attentats
- Vous l'avez peut-être lu, un philosophe allemand, Peter Sloterdijk, a dit qu'il avait été surpris par la capacité du peuple français à se lever, à faire bloc, à montrer que la République était une idée toujours vivante. Et venant de Sloterdijk, qui n'est pas tendre pour la France en général, et bien c'est tout à fait étonnant de voir son admiration pour la dignité du peuple français, sa volonté de vivre dans un pays où l'on peut dire ce que l'on veut.
- Cette réaction du peuple français est formidable. Elle nous a donné une visibilité mondiale, qu'on ne croyait plus avoir.
- La République ne passe pas par les gènes. La république est une création politique, très politique, de la France, qui est devenue une nation et qui s'est considérée ensuite comme une République. C'est tout un corps de règles, c'est une communauté de citoyens, cela passe par la séparation de l’Église et de l’État, la laïcité, le vivre-ensemble, le respect des opinions de l'autre, mais en même temps l'écoute, la confiance faite à la raison naturelle pour s'entendre sur ce qu'est l'intérêt général. Bref, un code très élaboré.
- La République ne demande pas que l'islam s'adapte à la mentalité française, mais que l'islam soit compatible avec la République, tout simplement, qu'il respecte la séparation entre le domaine du religieux, de la croyance, de la transcendance, et puis la sphère publique, qui est la sphère du débat, la sphère civique. On peut être Français et musulman sans aucun problème si on accepte cela.
- Il ne faut pas vivre cet événement dans le temps de la communication qui est celui du court terme. Il faut avoir une vision stratégique. L'intégration de jeunes générations, venues d'ailleurs, à la République et à la France, c'est probablement l'affaire de une, deux, trois générations. Je recommande beaucoup de calme, de sang froid, une vision à long terme.
- D'abord, il faut savoir qui nous sommes. Nous sommes la France, la nation, la République, mais la République comme communauté de citoyens, sans distinction d'origine. Nous devons d'abord avoir la fierté de ce qu'est la France, de notre histoire, sans la laisser polluer par des repentances souvent injustifiées. Un pays qui s'aime peut agréger ; un pays qui se débine tous les jours n'aspire aucun attrait.
- Ce n'est pas incompatible de dire que ces manifestations ont été un sursaut, mais que le pays connaît des difficultés. La production industrielle est 15% en dessous de son niveau de 2007, c'est une réalité. Mais il n'y a pas que cela : il y a de moins en moins de suicides, d'homicides, on ne le dit jamais !
- Je pense que les problèmes de l'islam doivent d'abord être traités par les musulmans. La fondation Res Publica, que je préside, va organiser un colloque intitulé « stratégies de déradicalisation ». Comment peut-on aboutir à cela ?
- Les institutions représentatives du culte musulman sont critiquées, mais il faut laisser aux choses le temps de se faire. C'est moi qui ait lancé la consultation sur l'islam de France, en 1999. Cela a été repris par Nicolas Sarkozy qui a créé le CFCM. Cela n'a pas donné des résultats mirobolants jusqu'à présent, mais le problème de la construction des mosquées, par exemple, a été quasiment résolu.
- On avait évoqué une fondation créé par des entreprises privées travaillant avec des pays de tradition musulmane pour le financement, cela ne s'est pas fait par manque de volonté politique. Et même chose pour la formation des imams : ça a fini par se faire, à Strasbourg – je l'avais suggéré à l'époque – mais à une beaucoup trop petite échelle. J'avais suggéré un Institut des Hautes Etudes Musulmanes, cela n'a pas été suivi des faits, parce que je me suis heurté à un certain nombre de blocages. Mais ces idées feront leur chemin. Et je suis absolument persuadé que nous allons réussir.
- Je préfère le terme d'intégration à celui d'assimilation. L'assimilation se réfère à une identité figée, immobile. J'avais confié une mission à Jacques Berque en 1985 à ce sujet, un rapport public intitulé « l'immigration à l'école de la République ». Jacques Berque me disait que la France a une identitié qui a évolué lentement : des apports italiens au XVIe et XVIIe siècles, espagnols, anglais, allemands, maintenant arabes... Cette identité est évolutive. Donc n'employons pas le mot assimilation, n'employons pas non plus le mot insertion, qui donne l'impression que c'est une gousse d'ail dans le rôti, employons le mot intégration. Intégration, ça veut dire que la France garde une identité structurée. Sa personnalité peut changer au fil des siècles, mais elle reste structurée.
- La France n’intègre pas aujourd'hui, mais c'est d'abord sa responsabilité. Elle ne s'aime pas. Son histoire, elle ne l'enseigne plus. Son récit national est brisé. Il n'y a pas une lecture cohérente de notre histoire au XXe siècle.
- La France doit résoudre ses problèmes d'emplois, qui touchent beaucoup de jeunes.
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Partie 4
Sur la fusion Alstom/GE
Partie 4
Sur la fusion Alstom/GE
- J'avais salué l'accord intervenu entre Alstom et General Electrics, sur le rachat de la branche énergie d'Alstom, que j'avais trouvé équilibré, au mois de juin. Cet accord prévoyait la création de trois co-entreprises. Mais, l'information m'est venue à l'oreille que le partage dans ces co-entreprises n'était pas tout à fait 50/50, entre Alstom et GE : GE a une ou deux actions de plus, notamment dans la filiale stratégique qui concerne les turbines à vapeur et les turbines nucléaires. Je me suis intéressé d'un peu plus près à l'affaire, je suis allé voir Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, il y a quelques jours, j'ai pris connaissance du fond du dossier, que je connaissais pas, en particulier des annexes en Anglais, et je me suis aperçu qu'en effet, dans l'accord initial, il y avait ce petit déséquilibre qui entraîne de gros déséquilibres dans la gestion.
- Je considère que la présentation qui avait été faite de l'accord au mois de Juin n'était pas exacte. Les pouvoirs publics ont présenté cet accord comme étant équilibré, et je pense qu'il n'est pas si équilibré que cela, même si l’État conserve un droit de veto sur certaines décisions. Je suis en train d'étudier ce dossier, qui est épais, et il y a des points qui me paraissent obscurs, notamment s'agissant de la propriété de la turbine Arabelle : est-ce que la licence appartient à une entité française, où à une co-entreprise ? Ce point n'est pas clair.
- Emmanuel Macron m'a reçu avec franchise et nous sommes en train de travailler pour que les intérêts du pays soit le mieux possible préservés. La turbine Arabelle est une énorme turbine que nous exportons à la Chine, à la Russie. Il faut être sûr qu'à un moment donné il n'y aurait pas de conflits d'intérêts avec les États-Unis.
Loi Macron
- La loi Macron est très complexe parce qu'elle touche a des sujets très divers. Soutenir l'investissement, c'est bien. Mais sur le travail le dimanche, j'ai toujours été réticent.
Front National et Europe
- Le taux de chômage est de 13,5% dans la 4ème circonscription du Doubs, l'une des plus ouvrières de France. Peugeot est le premier employeur de la région. L'Etat a fait quelque chose de bien pour Peugeot, en montant au capital pour équilibrer l'arrivée des chinois de Dongfeng.
- En même temps, il faut le dire, la montée du chômage n'est pas enrayée. Pour moi, la monnaie unique est un choix eronné. Je ne suis pas contre l'Europe, je tiens à le préciser. Je crois en la solidarité croissante des nations européennes. Mais je pense que le fait d'avoir voulu la même monnaie pour des pays aussi différents que l'Allemagne et la Grèce, cela ne marche pas.
- Je pense que l'échec de l'euro fait voter FN parce que cela ralentit beaucoup la croissance de la France, et depuis très longtemps. Au temps de M. Balladur, quand nous sommes restés accrochés au Deutsche Mark, alors que toutes les autres monnaies européennes dévaluaient, en 1993, M. Sarkozy était ministre du Budget, notre endettement est passé de 32% du PIB en 1991 à 58% en 1997. L'histoire de l'endettement de la France tient beaucoup à nos erreurs de politique monétaire.
- La monnaie unique empêche une flexibilité qui est la règle partout dans le monde, et notamment entre les pays du Nord et Sud de l'Europe, qui n'est pas la même. Alors, ou on redresse la compétitivité défaillante de ces pays par des plans de dévaluation interne, en réduisant les salaires, les retraites, la protection sociale, et on a vu l'échec que cela donne en Grèce, en l'Espagne... ou bien on essaye de penser plus finement et introduire des clauses de flexibilité monétaire.
- Ces réformes monétaires sont difficiles parce que nos amis Allemands sont ce qui sont, leurs incontestables qualités qui sont aussi des défauts quelque fois : leur orthodoxie ordolibérale est excessive, et notamment vis-à-vis de la Grèce. Il faudrait donner à ce pays un peu de souplesse pour lui donner le temps de récupérer. Je pense que ce serait bon aussi pour la France.
- Si les ouvriers sentaient qu'il y avait des repères sûrs dans l'Etat, le pays, etc, ils redresseraient la tête, ils auraient davantage confiance, et plutôt que d'égarer leur confiance à Marine le Pen, ils l'apporteraient à des républicains anthentiques.