Happés par le « court termisme » et affolés par l’instantanéité, notre civilisation disparaitrait sans le ressourcement dans la longue durée, c’est-à-dire dans l’Antique, ce passé principiel. Comment notre civilisation pourrait-elle encore nourrir un projet et l’envie d’un bel avenir, si elle laissait se tarir ses sources les plus profondes ? On définit souvent la civilisation occidentale comme « judéochrétienne ». Et certes on connaît peu de civilisations qui n’aient été, ou ne soient soutenues, par une religion, chrétienne, islamique, hindouiste, bouddhiste, etc.
S’il n’est nullement dans mon propos de vouloir diminuer ce que la civilisation occidentale doit à l’Ancien et au Nouveau Testaments, j’observerai cependant que la deuxième religion de France, l’Islam, si elle n’ignore ni Moïse ni Jésus, vise cependant à « clore le cycle des prophéties ». Ce n’est pas une modeste ambition. Nous nous en accommoderons, dans notre société sécularisée et d’abord par la compréhension de ce que le Christianisme et l’Islam se sont développés, depuis quinze siècles, dans une si profonde interaction que ce dernier, lui aussi, fait désormais partie de notre identité moderne. Il est encore plus décisif que les musulmans déclarent s’accommoder de la laïcité et ainsi admettre le principe de l’autonomie du jugement individuel, contribuant à une lecture ouverte de leurs textes sacrés et à l’émergence d’un Islam de progrès.
L’identité républicaine de la France puise à d’autres sources que la source vetero ou néotestamentaire. Faut-il rappeler à nos concitoyens que les sources de notre civilisation ne sont pas seulement à Jérusalem mais aussi à Athènes et à Rome ? C’est la mission de l’Ecole républicaine de transmettre cet héritage.
S’il n’est nullement dans mon propos de vouloir diminuer ce que la civilisation occidentale doit à l’Ancien et au Nouveau Testaments, j’observerai cependant que la deuxième religion de France, l’Islam, si elle n’ignore ni Moïse ni Jésus, vise cependant à « clore le cycle des prophéties ». Ce n’est pas une modeste ambition. Nous nous en accommoderons, dans notre société sécularisée et d’abord par la compréhension de ce que le Christianisme et l’Islam se sont développés, depuis quinze siècles, dans une si profonde interaction que ce dernier, lui aussi, fait désormais partie de notre identité moderne. Il est encore plus décisif que les musulmans déclarent s’accommoder de la laïcité et ainsi admettre le principe de l’autonomie du jugement individuel, contribuant à une lecture ouverte de leurs textes sacrés et à l’émergence d’un Islam de progrès.
L’identité républicaine de la France puise à d’autres sources que la source vetero ou néotestamentaire. Faut-il rappeler à nos concitoyens que les sources de notre civilisation ne sont pas seulement à Jérusalem mais aussi à Athènes et à Rome ? C’est la mission de l’Ecole républicaine de transmettre cet héritage.
Ce sont les Grecs, et particulièrement Athènes, qui inventèrent une civilisation qui tend naturellement à l’Universel. Ils nous ont légué le culte de la Cité, au sein de laquelle chaque citoyen se doit de contribuer au Bien public. Bref, ils ont inventé la politique, la démocratie et aussi, il faut bien l’avouer, son corolaire inévitable : la démagogie. Encore cette dérive n’a pas eu que des aspects négatifs : l’apport des sophistes ne fut pas seulement d’apprendre comment on pouvait flatter le peuple. Ils affinèrent la langue et, à travers elle la pensée, tel Prodicos, qu’évoque Jacqueline de Romilly, qui donna à chaque mot son sens précis. Les sophistes contribuèrent ainsi à « serrer », si je puis dire, le raisonnement, la démocratie et le « logos » cheminant de pair.
La Grèce nous a donc ainsi légué l’art de raisonner afin que, non seulement chaque citoyen puisse conformer, si possible, son action aux commandements de la Raison, mais surtout afin que le souci du Bien public s’impose dans la conduite des affaires de la Cité.
La Grèce est aussi la mère de la philosophie, dont je rappelle que la IIIème République avait fait la discipline-reine de nos classes de terminale en lycée, à l’époque, décrite par Claude Nicolet, où la République française se voulait la résurrection de la « République athénienne ».
Ces deux concepts associés de démocratie et de raison, ou si l’on préfère de philosophie, auraient pu périr avec la liberté des cités grecques et le triomphe de l’Empire, celui d’Alexandre le Grand d’abord, mais surtout l’Empire romain, dans lequel la Grèce tout entière bascula, après qu’à Pydna (168 avant JC) les armées de Paul Emile eurent défait celles de Persée, dernier roi de Macédoine. Il n’en fût rien. Après moins de deux mille ans, l’idée de liberté a refleuri avec les cités italiennes de la Renaissance, la Florence des Médicis et de Machiavel et, au siècle des Lumières, avec les Républiques américaine et française, inspirées de Locke et de Rousseau. L’idéal de l’autogouvernement avait survécu. Et qui ne voit que par nos temps d’incertaine « globalisation », l’avenir lui appartient encore ? Plus grande est l’incertitude en dehors et plus puissante, au dedans, la volonté de reprendre barre sur son destin.
Après la chute de la Grèce antique, Rome a imposé sa loi et l’idée de la citoyenneté que nous devons d’ailleurs à l’Empire plus qu’à la République romaine. République, souveraineté du Droit, citoyenneté détachée de l’origine ethnique, trois concepts que nous devons cette fois-ci à Rome plus qu’à Athènes. Ces principes font aussi partie de notre héritage le plus précieux.
Le néolibéralisme triomphant sacrifie volontiers la nation au marché, l’Europe, en cette affaire, ne servant bien souvent que de prétexte. Or, qui ne voit que cette remise en cause du patriotisme français ouvert à l’universel, tel qu’il s’est forgé à l’aide des concepts légués par l’Antiquité grecque et romaine, ouvre tout droit la voie à la régression dans l’affirmation d’une identité chauvine, quand ce n’est pas à l’obscurantisme religieux ?
Ainsi, la sauvegarde de l’héritage de la Grèce et de Rome dans notre culture est-elle la condition de la préservation de l’humanisme et d’un « progressisme » redevenu à la mode, contre les tentations de la démesure (l’hubris des Anciens Grecs). Comme l’a fortement argumenté Jacqueline de Romilly « l’amour du grec donne foi en la raison, une raison qui n’a rien de froid et s’allie chez les Grecs à un goût obstiné du concret, à un sens aigu du tragique » (1).
Il y a sans doute là un des secrets les mieux gardés de cette croisade contre le grec et le latin et plus généralement contre les Humanités, entreprise de longue date par les soi-disant « modernes », hérauts des pédagogies « constructivistes », au sens où l’élève, mis « au centre de l’Ecole », est censé « construire son savoir » par interaction avec les « pairs », c’est-à-dire avec de petits ignorants comme lui. On a ainsi vu, en 2016, une réforme des collèges visant à substituer à l’apprentissage du grec et du latin de vagues programmes interdisciplinaires consacrés à l’étude des « civilisations de l’Antiquité ». Comme si l’interdisciplinaire pouvait prospérer sur l’ignorance des disciplines ! Il faut qu’existe en dehors de l’Ecole des forces bien puissantes pour saper ainsi les efforts de transmission des concepts fondateurs de la démocratie. Mais a-t-on jamais vu que la ploutocratie ou la dictature aient cherché à cultiver la Raison ?
Seul l’apprentissage de la langue, école de rigueur et de raisonnement, permet de s’approprier la richesse intellectuelle d’une civilisation qui a été créée par les Grecs et qui est devenue la nôtre. Bien plus, le grec a permis au français de s’étoffer de milliers de mots formés de racines grecques. Apprendre le grec (et cela vaut a fortiori pour le latin), c’est apprendre à parler français, à mieux comprendre notre langue.
Mais veut-on la préserver ? Lui maintenir le rôle qu’a été le sien depuis des siècles ? La francophonie à 700 millions de locuteurs en 2050, y croit-on vraiment ? Si tel était le cas, où est l’effort de formation des enseignants correspondant à une telle ambition ?
Léopold Sedar Senghor, réveille toi ! Tu avais su faire valoir que l’apprentissage du grec et du latin valait autant pour les Sénégalais que pour les Francs-Comtois ! S’il y avait un projet ambitieux pour la francophonie, ainsi serait fait ! Car l’héritage de la démocratie, de la citoyenneté, de la philosophie et du Droit valent aussi pour l’Afrique. Les droits de l’Homme et du Citoyen ne sont pas fait que pour l’Europe !
Celle-ci n’est d’ailleurs plus guère consciente de ses racines. A des degrés divers, le grec et le latin ont pénétré toutes les langues d’Europe. Si on veut se réapproprier l’avenir, encore faudrait-il ne pas laisser dépérir ce qu’il y a de plus précieux dans notre héritage : le grec et le latin sont le patrimoine commun de toute l’Europe. Celle-ci, en se résignant au « globish », entérinerait sa dissolution dans l’océan du marché mondial. Ce serait pour elle un choix suicidaire. Et ce le serait plus particulièrement pour la France, surtout si elle veut reprendre un rôle central en Europe.
L’avenir, en effet, n’est pas à un « monde plat » comme l’a suggéré le journaliste américain Thomas Friedmann, imbu d’économicisme néo-libéral. Les secousses prévisibles à l’horizon, qu’elles soient financières ou géopolitiques, conduiront le monde à s’organiser par grandes plaques tectoniques. Nous constatons tous les jours l’inadéquation des institutions américaines au rôle de leadership qui semblait acquis au Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cette inadéquation ne date pas de l’élection de Donald Trump. Elle s’est manifestée dès la fin de la guerre froide avec les Présidents Bush père et fils : les deux guerres du Golfe ont créé le chaos au Moyen-Orient. Samuel Huntington avait décrit celle de 1991 comme la première « guerre civilisationnelle ». Daesh, à la fin, a été le prix à payer pour la destruction de l’Etat irakien. Le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan, prononcé par le Président Obama, n’a pu corriger l’effet des erreurs initiales.
Cette situation instable du monde a ses racines aux Etats-Unis même. Elle est appelée à durer : on le voit avec la crise ukrainienne par exemple, ou à travers la tentation de remise en cause des accords passés avec l’Iran, ou encore avec le surgissement de tensions nouvelles en Extrême-Orient ou en Amérique Latine.
Face à cette situation instable, seule une Europe capable de s’organiser de l’Atlantique à la Russie pourrait peser dans le sens de la modération et de la responsabilité. Il ne serait pas raisonnable de s’en remettre à un condominium sino-américain, en se rangeant par principe sous l’aile de Washington. Mais pour que Paris, Berlin et Moscou puissent s’entendre, encore faudrait-il que le christianisme occidental issu de Rome et le christianisme oriental d’origine grecque qui, avec Constantinople, a survécu mille ans à la chute de l’Empire romain, puissent, si je puis dire, reprendre langue : encore le grec et le latin ! tant il est vrai que la querelle du « Filioque » d’où naquit le « Grand Schisme » (1054) n’est pas éteinte, comme l’a montré l’historien suisse Guy Mettan (2).
Si maintenant nous raisonnons « monde », Rome a laissé derrière elle une belle postérité de nations : les nations latines d’Europe, c’est-à-dire l’Europe du Sud (plus de 200 millions d’habitants), l’Amérique Latine, c’est-à-dire l’hispanophonie (350 M) et l’immense Brésil (180 M), la moitié de l’Afrique enfin, part aujourd’hui majoritaire de la francophonie et part non négligeable de la lusophonie, une Afrique qui sera au siècle prochain aussi peuplée que l’Asie !
Qui peut nier que la latinité crée un espace d’affinités culturelles sans égal ?
C’est à l’articulation de ces plaques tectoniques humaines qui appartiennent à la même aire culturelle latine que nous pourrons faire mûrir un projet de civilisation qui est la seule manière de prévenir les « chocs de civilisations » anticipés, mais non désirés, par Samuel Huntington dès 1993.
La sauvegarde de l’héritage de l’Antiquité, de ses valeurs, de sa sensibilité, des concepts fondateurs qu’elle nous a transmis, est encore la meilleure manière d’aborder l’avenir et de faire reculer les monstres visibles à l’horizon : le « transhumanisme », pointe avancée de l’Inégalité, l’extrémisme religieux et le cortège des fanatismes qu’il suscite, sans parler bien sûr du bon vieil impérialisme et du suprématisme qui n’est pas mort avec Hitler …
En préservant, au sein de notre culture, le legs de l’Antiquité, nous donnerons à la raison humaine la vigilance et la force qui lui permettront de terrasser ces monstres !
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1) Jacqueline de Romilly, Ecrits sur l’enseignement, Editions de Fallois, p. 82.
2) Huy Mettan « Russie Occident : mille ans de guerre ».
La Grèce nous a donc ainsi légué l’art de raisonner afin que, non seulement chaque citoyen puisse conformer, si possible, son action aux commandements de la Raison, mais surtout afin que le souci du Bien public s’impose dans la conduite des affaires de la Cité.
La Grèce est aussi la mère de la philosophie, dont je rappelle que la IIIème République avait fait la discipline-reine de nos classes de terminale en lycée, à l’époque, décrite par Claude Nicolet, où la République française se voulait la résurrection de la « République athénienne ».
Ces deux concepts associés de démocratie et de raison, ou si l’on préfère de philosophie, auraient pu périr avec la liberté des cités grecques et le triomphe de l’Empire, celui d’Alexandre le Grand d’abord, mais surtout l’Empire romain, dans lequel la Grèce tout entière bascula, après qu’à Pydna (168 avant JC) les armées de Paul Emile eurent défait celles de Persée, dernier roi de Macédoine. Il n’en fût rien. Après moins de deux mille ans, l’idée de liberté a refleuri avec les cités italiennes de la Renaissance, la Florence des Médicis et de Machiavel et, au siècle des Lumières, avec les Républiques américaine et française, inspirées de Locke et de Rousseau. L’idéal de l’autogouvernement avait survécu. Et qui ne voit que par nos temps d’incertaine « globalisation », l’avenir lui appartient encore ? Plus grande est l’incertitude en dehors et plus puissante, au dedans, la volonté de reprendre barre sur son destin.
Après la chute de la Grèce antique, Rome a imposé sa loi et l’idée de la citoyenneté que nous devons d’ailleurs à l’Empire plus qu’à la République romaine. République, souveraineté du Droit, citoyenneté détachée de l’origine ethnique, trois concepts que nous devons cette fois-ci à Rome plus qu’à Athènes. Ces principes font aussi partie de notre héritage le plus précieux.
Le néolibéralisme triomphant sacrifie volontiers la nation au marché, l’Europe, en cette affaire, ne servant bien souvent que de prétexte. Or, qui ne voit que cette remise en cause du patriotisme français ouvert à l’universel, tel qu’il s’est forgé à l’aide des concepts légués par l’Antiquité grecque et romaine, ouvre tout droit la voie à la régression dans l’affirmation d’une identité chauvine, quand ce n’est pas à l’obscurantisme religieux ?
Ainsi, la sauvegarde de l’héritage de la Grèce et de Rome dans notre culture est-elle la condition de la préservation de l’humanisme et d’un « progressisme » redevenu à la mode, contre les tentations de la démesure (l’hubris des Anciens Grecs). Comme l’a fortement argumenté Jacqueline de Romilly « l’amour du grec donne foi en la raison, une raison qui n’a rien de froid et s’allie chez les Grecs à un goût obstiné du concret, à un sens aigu du tragique » (1).
Il y a sans doute là un des secrets les mieux gardés de cette croisade contre le grec et le latin et plus généralement contre les Humanités, entreprise de longue date par les soi-disant « modernes », hérauts des pédagogies « constructivistes », au sens où l’élève, mis « au centre de l’Ecole », est censé « construire son savoir » par interaction avec les « pairs », c’est-à-dire avec de petits ignorants comme lui. On a ainsi vu, en 2016, une réforme des collèges visant à substituer à l’apprentissage du grec et du latin de vagues programmes interdisciplinaires consacrés à l’étude des « civilisations de l’Antiquité ». Comme si l’interdisciplinaire pouvait prospérer sur l’ignorance des disciplines ! Il faut qu’existe en dehors de l’Ecole des forces bien puissantes pour saper ainsi les efforts de transmission des concepts fondateurs de la démocratie. Mais a-t-on jamais vu que la ploutocratie ou la dictature aient cherché à cultiver la Raison ?
Seul l’apprentissage de la langue, école de rigueur et de raisonnement, permet de s’approprier la richesse intellectuelle d’une civilisation qui a été créée par les Grecs et qui est devenue la nôtre. Bien plus, le grec a permis au français de s’étoffer de milliers de mots formés de racines grecques. Apprendre le grec (et cela vaut a fortiori pour le latin), c’est apprendre à parler français, à mieux comprendre notre langue.
Mais veut-on la préserver ? Lui maintenir le rôle qu’a été le sien depuis des siècles ? La francophonie à 700 millions de locuteurs en 2050, y croit-on vraiment ? Si tel était le cas, où est l’effort de formation des enseignants correspondant à une telle ambition ?
Léopold Sedar Senghor, réveille toi ! Tu avais su faire valoir que l’apprentissage du grec et du latin valait autant pour les Sénégalais que pour les Francs-Comtois ! S’il y avait un projet ambitieux pour la francophonie, ainsi serait fait ! Car l’héritage de la démocratie, de la citoyenneté, de la philosophie et du Droit valent aussi pour l’Afrique. Les droits de l’Homme et du Citoyen ne sont pas fait que pour l’Europe !
Celle-ci n’est d’ailleurs plus guère consciente de ses racines. A des degrés divers, le grec et le latin ont pénétré toutes les langues d’Europe. Si on veut se réapproprier l’avenir, encore faudrait-il ne pas laisser dépérir ce qu’il y a de plus précieux dans notre héritage : le grec et le latin sont le patrimoine commun de toute l’Europe. Celle-ci, en se résignant au « globish », entérinerait sa dissolution dans l’océan du marché mondial. Ce serait pour elle un choix suicidaire. Et ce le serait plus particulièrement pour la France, surtout si elle veut reprendre un rôle central en Europe.
L’avenir, en effet, n’est pas à un « monde plat » comme l’a suggéré le journaliste américain Thomas Friedmann, imbu d’économicisme néo-libéral. Les secousses prévisibles à l’horizon, qu’elles soient financières ou géopolitiques, conduiront le monde à s’organiser par grandes plaques tectoniques. Nous constatons tous les jours l’inadéquation des institutions américaines au rôle de leadership qui semblait acquis au Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cette inadéquation ne date pas de l’élection de Donald Trump. Elle s’est manifestée dès la fin de la guerre froide avec les Présidents Bush père et fils : les deux guerres du Golfe ont créé le chaos au Moyen-Orient. Samuel Huntington avait décrit celle de 1991 comme la première « guerre civilisationnelle ». Daesh, à la fin, a été le prix à payer pour la destruction de l’Etat irakien. Le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan, prononcé par le Président Obama, n’a pu corriger l’effet des erreurs initiales.
Cette situation instable du monde a ses racines aux Etats-Unis même. Elle est appelée à durer : on le voit avec la crise ukrainienne par exemple, ou à travers la tentation de remise en cause des accords passés avec l’Iran, ou encore avec le surgissement de tensions nouvelles en Extrême-Orient ou en Amérique Latine.
Face à cette situation instable, seule une Europe capable de s’organiser de l’Atlantique à la Russie pourrait peser dans le sens de la modération et de la responsabilité. Il ne serait pas raisonnable de s’en remettre à un condominium sino-américain, en se rangeant par principe sous l’aile de Washington. Mais pour que Paris, Berlin et Moscou puissent s’entendre, encore faudrait-il que le christianisme occidental issu de Rome et le christianisme oriental d’origine grecque qui, avec Constantinople, a survécu mille ans à la chute de l’Empire romain, puissent, si je puis dire, reprendre langue : encore le grec et le latin ! tant il est vrai que la querelle du « Filioque » d’où naquit le « Grand Schisme » (1054) n’est pas éteinte, comme l’a montré l’historien suisse Guy Mettan (2).
Si maintenant nous raisonnons « monde », Rome a laissé derrière elle une belle postérité de nations : les nations latines d’Europe, c’est-à-dire l’Europe du Sud (plus de 200 millions d’habitants), l’Amérique Latine, c’est-à-dire l’hispanophonie (350 M) et l’immense Brésil (180 M), la moitié de l’Afrique enfin, part aujourd’hui majoritaire de la francophonie et part non négligeable de la lusophonie, une Afrique qui sera au siècle prochain aussi peuplée que l’Asie !
Qui peut nier que la latinité crée un espace d’affinités culturelles sans égal ?
C’est à l’articulation de ces plaques tectoniques humaines qui appartiennent à la même aire culturelle latine que nous pourrons faire mûrir un projet de civilisation qui est la seule manière de prévenir les « chocs de civilisations » anticipés, mais non désirés, par Samuel Huntington dès 1993.
La sauvegarde de l’héritage de l’Antiquité, de ses valeurs, de sa sensibilité, des concepts fondateurs qu’elle nous a transmis, est encore la meilleure manière d’aborder l’avenir et de faire reculer les monstres visibles à l’horizon : le « transhumanisme », pointe avancée de l’Inégalité, l’extrémisme religieux et le cortège des fanatismes qu’il suscite, sans parler bien sûr du bon vieil impérialisme et du suprématisme qui n’est pas mort avec Hitler …
En préservant, au sein de notre culture, le legs de l’Antiquité, nous donnerons à la raison humaine la vigilance et la force qui lui permettront de terrasser ces monstres !
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1) Jacqueline de Romilly, Ecrits sur l’enseignement, Editions de Fallois, p. 82.
2) Huy Mettan « Russie Occident : mille ans de guerre ».