Le Point: Quand vous considérez l'ensemble de votre vie, quelle a été la saison de votre plus grand bonheur ?
Jean-Pierre Chevènement: Les années 1970 ont été enthousiasmantes, car ce que j'avais anticipé en créant le Céres à mon retour de la guerre d'Algérie – l'union de la gauche, la recréation d'un grand Parti socialiste, l'alternance – s'est réalisé. J'avais adhéré au Parti socialiste, en 1964, d'une certaine manière pour le subvertir. C'est ce qui a été fait en 1971 avec le congrès d'Épinay, dans l'issue duquel j'ai pris une forte responsabilité. Dix ans après, l'alternance se produisait. Je n'avais pas deviné que cela pourrait se passer dans la vie comme je l'avais imaginé dans ma tête. La suite a été différente... J'ai été moins heureux, même si j'ai connu dans l'action des moments de plénitude.
Quel livre trouve-t-on sur votre table de chevet ?
Actuellement, je relis les Lettres persanes, de Montesquieu. J'y vois ce que pouvait être le dialogue des cultures au début du XVIIIe siècle.
Lisez-vous des romans ou des essais ?
Je lis surtout des livres d'histoire, ainsi que des essais ou des romans comme Vie et destin, de Vassili Grossman. Actuellement, je me consacre beaucoup à l'histoire des religions, à l'islam et aux monothéismes, en raison des fonctions que j'exerce à la tête de la Fondation pour l'islam de France.
En littérature, vous êtes plutôt stendhalien ou balzacien ?
J'ai été passionnément stendhalien. J'ai été d'ailleurs à l'origine du nom de la promotion de l'Ena à laquelle j'appartiens (Stendhal, 1965). Avec Alain Gomez, j'ai défendu Stendhal contre Turgot, qui avait, si je me souviens bien, la faveur d'Ernest-Antoine Seillière. Ce débat a sérieusement partagé notre promotion. Il dessinait les lignes d'une droite et d'une gauche en gestation.
Stendhal est une figure rarement invoquée par la gauche...
Son œuvre est pourtant une bonne description de la société bourgeoise de la Restauration. Stendhal m'inspire également la difficulté d'un jeune homme parti de peu, originaire du haut Doubs et dont le père avait une scierie à la frontière de la Suisse.
Ne confondez-vous pas Stendhal et Julien Sorel ?
Évidemment, c'est de Julien Sorel que je parle, dans Le Rouge et le Noir. D'autres héros de Stendhal faisaient rêver le jeune homme que j'étais. Ainsi, Lucien Leuwen, qui rencontre à Nancy une figure républicaine qui le fascine. Stendhal, avec son œil décapant, aurait aimé faire bouger les choses. C'est cela, la gauche...