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Ne pas casser la reprise


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat lors du débat sur la dette, mercredi 25 novembre 2009.


Ne pas casser la reprise
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

Nous étions d’accord, l’an dernier, avec Monsieur le Rapporteur général pour distinguer la bonne dette, celle qui finance l’investissement et la mauvaise, celle qui finance les dépenses de fonctionnement. Monsieur Marini regrettait même que nous n’ayons pas eu le courage d’établir cette règle d’or dans nos institutions, au moment de l’élaboration de la LOLF. Mais aujourd’hui force est de constater que c’est la mauvaise dette qui s’envole alors que des initiatives heureuses – le plan de relance ou le grand emprunt – dédiées à des investissements économiquement rentables, fut-ce à très long terme, se trouvent cantonnées ou rognées par rapport aux objectifs que leur avaient assignés leurs initiateurs.

Mauvaise dette, celle qui résulte très largement du cumul du déficit budgétaire et des amortissements de dette, reflet des déficits passés. En 2010, l’Agence France Trésor émettra 175 milliards d’euros à moyen et long terme, 10 milliards de plus que cette année, pour limiter un endettement à court terme grandissant, naturellement exposé au relèvement des taux d’intérêt que laisse déjà prévoir l’inflexion du discours du Président de la Banque Centrale européenne. Au total, la dette de l’Etat atteint 1 142 milliards d’euros à la fin de cette année. Elle s’élèvera à 1 258 milliards à la fin de 2010.

Cette dette correspond pour l’essentiel à des dépenses de fonctionnement, tant l’Etat a réduit ses dépenses d’investissement, dans tous les autres domaines que la Défense.

La charge de cette dette – plus de 42 milliards d’euros et 4 à 6 milliards de plus en 2011 – limite de plus en plus la marge de manœuvre de l’État. Cette dette de l’Etat est la composante majeure et le facteur décisif de l’augmentation spectaculaire de la dette publique totale. Celle-ci sera passée de 67,4 % du PIB fin 2008, à 77,1 % fin 2009, et 84 % en 2010.

Dans l’histoire de la dette publique c’est le deuxième envol spectaculaire – dix-sept points - après celui qui, de 1992 à 1998 – vingt-six points -, avait paradoxalement traduit l’effort fait par la France pour rendre possible la monnaie unique au prix de taux d’intérêt assassins alignés sur ceux de la Bundesbank et d’une croissance ralentie.

Cette deuxième envolée spectaculaire due pour l’essentiel à la récession et aux moins-values fiscales doit inspirer trois choix clairs :

1. Une remise en cause vigoureuse des niches fiscales, des exonérations abusives et du bouclier fiscal, véritable défi à l’esprit de justice. Le pays doit être convié à l’effort. Il y répondra à une condition : que cet effort soit équitablement partagé. Aujourd’hui il ne l’est pas. La France s’appauvrit mais il y a de plus en plus de riches ! Très riches ! Il est vrai qu’il y a aussi de plus en plus de pauvres, beaucoup plus nombreux encore ! La solidarité manque au rendez-vous. Il est absurde et contraire au civisme le plus élémentaire de défendre le bouclier fiscal, au prétexte de ne pas faire fuir les « très riches » vers la Belgique. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la République française, et pour tout dire dans l’Europe de Lisbonne, où la première des libertés est celle des capitaux et la dernière celle des travailleurs ! Il y a au moins cinquante milliards d’euros qui manquent à l’appel et qui pourraient venir en déduction des déficits budgétaires futurs dont tout laisse à penser que même avec la reprise, ils dépasseront encore 100 milliards d’euros dans les années à venir.

2. Il ne s’agit pas pour autant de casser la reprise, au contraire ! Il faut laisser agir les grands programmes de soutien à l’économie. La reprise n’est pas assez affermie pour qu’on se lance dans des politiques de réduction de la demande publique, comme nous y incitent les doctrinaires à courte vue, empressés de remonter sur le piédestal d’où la crise les avait fait tomber, l’hiver dernier. La Commission et la Banque Centrale européennes notamment seraient bien avisées de ne pas donner prématurément des signes de retour à une application stricte des critères de Maastricht ou à une remontée précipitée des taux d’intérêt. Notre dette est préoccupante mais elle est neuf fois moins élevée que celle des Etats-Unis qui vient de crever le plafond de 12 000 milliards de dollars. Dans l’échelle des pays les plus endettés à l’intérieur de la zone euro, la France est largement dépassée par l’Italie, la Belgique, la Grèce. Sa situation risque cependant de se dégrader vis-à-vis de l’Allemagne qui, depuis quelques années, a su davantage contenir son déficit. Le Premier ministre n’a pas eu tort de rappeler que nous ne pouvions pas laisser se créer un écart excessif d’endettement avec l’Allemagne. Je constate cependant que la France n’acquitte pas aujourd’hui une prime de risque dans la couverture de sa dette très différente de celle de l’Allemagne, c’est-à-dire très faible. Comment mieux reconnaître cependant que c’est l’Allemagne en Europe qui impose ses règles et comment ne pas s’inquiéter de l’amendement constitutionnel voté il y a quelques mois qui limitera le déficit budgétaire allemand à 0,35% du PIB à partir de 2016 ? Il y a là la marque d’une cruelle absence de gouvernement économique au niveau de la zone euro. D’un point de vue conjoncturel il n’y a pas lieu cependant de casser une reprise à peine entamée par un resserrement de la dépense publique déjà très contrainte.

3. Au contraire et c’est le troisième choix qui me paraît s’imposer : l’Etat ne doit pas restreindre le grand emprunt à 17 milliards d’euros, une fois déduits les remboursements des banques. Cela ne ferait qu’un petit emprunt consacré pour l’essentiel à des dépenses dont la rentabilité économique ne se fera sentir qu’à très long terme : 10 milliards pour un nombre réduit d’universités – cinq à dix – auxquelles on demande d’acquérir une dimension et une réputation mondiales. Un tel résultat passe par des réformes de structures dans l’enseignement supérieur et la recherche beaucoup plus que par l’allocation, même souhaitable, de quelques milliards supplémentaires.

J’observe qu’il n’y a rien dans le grand emprunt devenu petit qui intéresse vraiment la politique industrielle, les prises de participation au capital d’entreprises stratégiques par exemple. Beaucoup de blabla technocratique. Quelques bonnes mesures par-ci par-là, mais rien de vraiment décisif pour renforcer la compétitivité industrielle du pays. Rien sur le fonds stratégique d’investissement, rien qui permettrait de lutter contre le passage sous contrôle étranger de secteurs vitaux de notre industrie, rien qui permettrait de renforcer nos points forts : l’énergie, le transport, les industries agro-alimentaires. Deux mesures, insuffisantes, pour les PME innovantes : 0,5 milliard, et pour les entreprises de taille moyenne : 1,5 milliard. Ce n’est pas avec cela qu’on armera nos entreprises pour la course en haute mer, je veux dire la conquête de parts de marché à l’exportation !

Nous sommes loin d’une grande politique de salut public qui ferait un peu plus de bonne dette et prendrait vraiment les moyens de réduire la mauvaise !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 25 Novembre 2009 à 23:27 | Lu 2949 fois



1.Posté par R o b e r t M O R L O T le 26/11/2009 14:24
Ce que J.P.C. n’ose toujours pas dire fortement, et qu’il appelle pudiquement « les dépenses de fonctionnement », c’est que notre appareil d’Etat de plus en plus pléthorique vit très largement et privilégièrement au-dessus des moyens de la République, et ce depuis plus d’un quart de siècle…

Le coup de pistolet de départ fut donné dès la mort de Pompidou, et l’anse du panier ne cessa depuis lors de sauter allégrement…Tandis que disparaissaient au fil des mandatures de ses successeurs d’abord nos paysans, puis nos ouvriers, puis nos employés, puis nos petits commerçants tels que nous les avions toujours connus, on aurait pu penser que des investissements intelligents allaient se porter sur des secteurs de remplacement, et boucher ainsi les trous béants.

Que nenni ! Le chômage s’envola définitivement, couplé d’une immigration débridée, dont la double charge s’ajoutant à celle de dépenses de fonctionnement toujours aussi incontrôlées, allait plomber pour longtemps la dette publique, la bonne comme la mauvaise que distingue J.P.C..

La crise mondialiste n’allait rien arranger. Touchée de plein fouet, la classe moyenne des épargnants français allait perdre la moitié de son petit capital investi, parfois davantage, et la totalité des intérêts escomptés. Combien sont-ils ? Des milliers, des centaines de milliers, peut-être des millions ? Qui s’en soucie ? Personne. Qui en parle ? Personne.

A ce propos par contre, un indice qui ne trompe pas : alors que la République s’était toujours tournée dans son passé, vers les citoyens pour la couverture de ses emprunts, le prochain Grand Emprunt XXL devra tirer les sonnettes des marchés financiers, car aucun épargnant floué ne lui apportera le moindre liard.

Certes, nos économistes aussi patentés que distingués sont aujourd’hui au chevet de notre République exangue, leur clystère à la main. Est-ce un hasard, tous ou presque sont de ses apparatchiks. Parlent-ils d’une grande politique de salut public, de bonne dette , de mauvaise dette à réduire alors qu’ils ont les pieds dedans ?!

Pour le moment la voix de J.P.C. reste bien isolée. Mais il n’oublie sûrement pas que nettoyer les écuries d’Augias a nécessité qu’Hercule s’en mêlât…



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2.Posté par BA le 28/11/2009 20:27
Berlin mettrait 10 milliards d’euros au pot pour aider à débloquer le crédit aux entreprises.

Berlin serait prêt à mettre 10 milliards d’euros en jeu pour permettre aux banques d’ouvrir plus largement le robinet du crédit aux entreprises, rapporte l’édition à paraître lundi 30 novembre du magazine Spiegel.

Le gouvernement garantirait pour 10 milliards d’euros des créances de banques, ce qui leur permettrait de générer un nouveau volume de crédits de l’ordre de 100 milliards d’euros, à un moment où la pénurie d’argent fait craindre pour la reprise, déjà fragile, de l’économie.

Le financement gouvernemental proviendrait du fonds établi pour lutter contre la crise économique.

La Bundesbank vient d’avertir que les banques allemandes pourraient avoir à déprécier encore jusqu’à 90 milliards d’euros d’ici fin 2010 en raison de la crise.

http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=7e818f8b752655d8abab28e0bf6e8dbd

Question numéro 1 : combien de milliards d’euros les contribuables allemands vont-ils payer pour renflouer encore une fois les banques allemandes ?

Question numéro 2 : jusqu’à quand les contribuables allemands devront-ils payer pour renflouer les banques ?

3.Posté par Pascal Olivier le 29/11/2009 12:35
" "L'Etat simple et modeste". Au nom de la vertu, côté gauche, de la chasse au déficit, côté droit. Divine rencontre. le coca d'honneur est donc à l'honneur. Les pauvres ont toujours intérêt à un Etat bien pourvu, dès lors qu'il redistribue, mais les riches préfèrent l'Etat pauvre et amaigri, et l'on peut les comprendre si ce sont eux qui financent. Assez de gaspillages et de privilèges ! Sus aux huissiers à chaîne et aux fracs de grand-papa- le fric porte blue-jean." Régis Debray in L'obscénité démocratique.

Un Etat qui ne tient pas son rang est un Etat de laquais au service d'intérêts privés. C'est ainsi qu'on en arrive à des vacances présidentielles "sponsorisés". Il n'y a pas dans le discours de JPC de remontrance sur le train de vie de l'Etat, c'est salutaire. Que nos élus ,nos ministres, nos fonctionnaires doivent payer d'exemple, fort bien, encore faut-il que la comparaison de leur rétribution et de leurs avantages avec ceux des dirigeants du privé, des artistes et autres footballeurs ne les ridiculise pas. "Dès lors que l'Etat n'est plus pensé en termes de puissance mais de service-rendu à des usagers, et bientôt à des clients-, il est logique qu'on veuille le mettre au pain sec." (R.D)

Bien que n'étant pas du même bord politique, j'ai été peiné par la mésaventure du ministre Hervé Gaymard à propos de son luxueux et disproportionné logement de fonction. Footballeur, artiste célèbre ou dirigeant d'entreprise, il n'aurait guère été inquiété. Les railleries autour de ses huit enfants et de son catholicisme lui auraient été également épargnées, si musulman polygame les services sociaux lui avait attribué un pavillon.

Pour en finir avec la dictature des multinationales et de la "société civile", autrement dit du privé, il faudra redonner à l'Etat les ors de la République et à ses serviteurs le prestige dû à leur rang. C'est une des conditions qui permettra à l'Etat de renouer avec la puissance politique et économique. Voilà qui nous changerait d'un Etat falot, réduit à donner le change, en faisant la chasse aux excès de vitesse du citoyen lambda, pendant que le ministère de l'intérieur recommande à la puissance publique de s'abstenir d'intercepter les auteurs de délit de fuite à deux roues, dans les territoires perdus de la République.

4.Posté par Claire Strime le 30/11/2009 10:46
@R.Morlot: la source des difficultés viendrait des dépenses de fonctionnement de l'appareil d'Etat?
Certes il ya le scandale des 48 voituires du ministère de l'écologie et des 20 millions d'euros dépensés par les cabinets ministériels, il y a sans doute aussi des administrations centrales dont le nombre d'"agents" a été un peu trop gonflé ces dernières décennies, recrutements de contractuels et loi Sapin aidant...
Mais faites le compte, on reste dans les millions d'euros, alors que le déficit se chiffre en MILLIARDS d'euros lourds (i e d'euromarks et non d'eurofrancs).
Il ya aussi d'autres dépenses pas vraiment glorieuses, ainsi pour acheter la paix civile et sociale aux Antilles (et la bienveillance de certains élus de gauche), nos compatriotes antillais pourront "toucher" à la fois le RSA, le RSTA et la PPE. On se demande ce que devient l'égalité de traitement entre citoyens de la République; et cela ne va pas inciter au travail productif dans ces îles...
Les 3 milliards d'euros que coûte la PPE sont aussi à questionner, véritable trappe à bas salaires ce crédit d'impot d'inspiration libérale joue 1 rôle négatif pour les négociations salariales (tout comme diverses éxonérations sociales): il incite à la smicardisation et n'incite pas la main d'oeuvre qualifiée à travailler mieux et plus.

5.Posté par ffi le 01/12/2009 18:59
Il ne faut pas chercher plus loin que l'abolition du crédit productif par Pompidou-Giscard en 1973 (loi 73-7, Article 25) pour comprendre la raison de la dette.
Avant cette loi, la France emprunte sans intérêt à la Banque de France (sa nationalisation fut une grande victoire de la libération). Après cette loi, la France doit emprunter à des taux de 4,5% sur les marchés à obligation à des entreprises privées (Banques, Assurances, ...).
Sans cette loi (et ses avatars européens art 104 Maastricht, Art 123 Lisbonne), la France n'aurait pas de dette : elle a déjà payé 1320 milliards d'euros au titre des seuls intérêts.

Ce fonctionnement est gênant parce que l'état représente l'intérêt général, tandis que les banques représentent des intérêts particuliers.

Philosophiquement, cela signifie que l'intérêt général est placé en-dessous des intérêts particuliers.

Si ce fonctionnement financier n'est pas remis en cause, il n'y a aucune raison que ce problème de la dette se résolve. Les seules possibilités d'action seront :
- diminuer les dépenses publiques
- vendre les biens nationaux

Il n'y a aucun doute que, de ce point de vue, l'état Français est dans une situation à l'africaine, abonné à une dette perpétuelle.

Il faut revenir au crédit productif public et le permettre à tous les pays en voie de développement.

6.Posté par BA le 01/12/2009 21:28
Le Canard Enchaîné, mercredi 25 novembre 2009, page 2 :

Les " tocards " de Bruxelles.

" Ce qu'Angela et moi voulions, a confié Sarkozy à ses visiteurs proches, c'était deux personnalités qui ne feront pas obstacle aux ténors européens. C'est pour ça qu'on s'est mis d'accord sur deux tocards. "

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