Verbatim
- Thierry Ardisson : Jean-Pierre Chevènement, 20 ans après votre mort et votre résurrection, vous avez l'air très en forme !
Jean-Pierre Chevènement : Parce que je n'ai pas rencontré la mort justement ! Je ne dirais pas que je l'avais cherchée mais elle est venue à ma rencontre, elle m'a effleuré de son aile, comme plusieurs fois dans ma vie d'ailleurs, mais jusqu'à présent elle m'a épargné. Ça ne durera pas toujours !
- Vous avez fait une allergie et votre cœur s'est arrêté de battre pendant 57 minutes, ce qui vous laissait 0,5% de chance de revenir à la vie. Incroyable non ?
C'est un accident thérapeutique, non un accident de santé.
- Pour un laïque comme vous, c'est un comble d'avoir ressuscité !
Je ne vois pas pourquoi la laïcité empêcherait de franchir la frontière qui nous sépare de la Transcendance !
- Beaucoup d'hommes politiques de droite et de gauche, qui ne vous ont pas écouté pendant 30 ans, n'arrêtent pas de dire que vous les avez inspirés. On dit de vous que vous êtes "un homme d'Etat, de convictions, un grand Républicain".
Les inspirer pour la suite serait pour moi un beau lot de consolation !
- Selon vous, la crise des Gilets jaunes vient de loin, de choix erronés faits dans les années 1980. Elle ne remonte donc pas à Emmanuel Macron ?
Non, elle ne remonte pas au Président Macron et c'est un problème qui dépasse les frontières de la France. Le cycle néolibéral s'enclenche avec Reagan aux Etats-Unis, Margaret Thatcher au Royaume-Uni, mais chez nous il était possible de faire autre chose, en tout cas on était venus pour faire autre chose. Jaurès disait que "le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire" : j'ai proposé une conversion républicaine au Parti socialiste, il a préféré une conversion libérale.
- Face au néolibéralisme, la gauche a cédé et a fait la même politique que la droite, c'est-à-dire celle de Bruxelles : tout le pouvoir à une commission européenne non élue qui n'a de comptes à rendre à personne. En 2005, les Français disent non, mais en 2008 le Traité de Lisbonne s'impose.
L'Europe a été conçue au départ comme un marché fait pour une homme réduit à sa dimension économique. Le citoyen, la politique à long terme, la stratégie, ont été oubliés. Par conséquent, l'Europe confie sa défense, sa politique extérieure aux Etats-Unis, et on voit le résultat. C'est une Europe informe qui, entre les Etats-Unis et la Chine – laquelle est la puissance montante au XXIè siècle – risque d'être écrasée si elle ne se ressource pas dans les Nations, qui sont le cadre de la démocratie.
- Les solutions ? Réorienter une politique liée à la mondialisation et réindustrialiser la France, dites-vous. Plus facile à dire qu'à faire.
Il y avait un ministère de l'Industrie, que j'ai occupé en 1983. Nous avions des équipes d'ingénieurs compétentes pour tous les dossiers, nous n'avions pas besoin de faire des appels d'offres pour obtenir de bureaux d'études privés qu'ils nous disent quelle était la situation à Alstom ou à Scoval, on savait ça par coeur. Il y avait une capacité d'intervention de l'Etat, aujourd'hui il n'y a plus rien.
Nous sommes à la fin du cycle néolibéral. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Président Macron qui l'a dit dans ses voeux du 31 décembre. Il faut prendre des décisions qui anticipent et qui permettent de réindustrialiser le pays ! Là est l'origine du mal.
- Vous dites aussi qu'il faut revaloriser la démocratie représentative. Il est vrai que le quinquennat est une très mauvaise chose : on est sans cesse en campagne électorale, et les députés sont devenus des agents du Gouvernement.
Le quinquennat s'est révélé être une erreur. Les Français ont le sentiment qu'ils ne peuvent s'exprimer qu'une fois tous les 5 ans, c'est mauvais. Une déconnexion des présidentielles d'avec les législatives est nécessaire, soit au rythme 7 ans - 5 ans, soit 6 ans - 4 ans.
- Pourrait-on imaginer un Président de la République comme en Israël ou en Allemagne, qui soit réellement au-dessus de la mêlée ? Soit, comme de Gaulle l'avait envisagé à Bayeux, "un monarque républicain" ?
De Gaulle voulait un vrai Président, pas un président de la IIIè République. Il voulait que le Président soit garant de la politique extérieure, de la souveraineté nationale. Un "monarque républicain" si vous voulez, mais qui permettait l'exercice de ce que Michel Debré appelait "un parlementarisme rationalisé", c'est-à-dire une dimension de débat. Je pense que la déconnexion du mandat présidentiel et de celui des députés permettrait d'avoir une démocratie qui respire.
- Et la proportionnelle ? Aujourd'hui, 40% des Français sont représentés par 4% des députés donc ce n'est pas la démocratie. 15% de proportionnelle seraient suffisants ?
Avec 15%, les Français seraient mieux représentés et le pays serait gouvernable. Il faut toujours raisonner en fonction de l'intérêt national : on ne peut pas livrer la France à des courants tellement hétérogènes et contradictoires que le pays deviendrait ingouvernable. La France est un pays difficile, il faut quand même le dire ! Regardez en Allemagne, cela devient de plus en plus difficile.
- La chance d'Emmanuel Macron est qu'il n'a aujourd'hui pas d'alternative crédible, dites-vous. Il est en marche, certes, mais vers quoi ?
Le vrai choix pour lui est de savoir s'il va choisir la voie centriste, c'est-à-dire la voie Sarkozy-Hollande, ou bien s'il essaie d'être au-dessus de la droite et de la gauche, et pas "en même temps" de droite et de gauche". Il s'agit de rebattre les cartes du jeu européen, car les fractures s'enracinent dans des choix néolibéraux sur lesquels on n'arrive pas à revenir.
- Emmanuel Macron peut-il sortir la France du coma ?
Il y a coma assisté et coma naturel ! La France n'est pas dans le coma ; elle traverse une crise. Le problème sécuritaire doit être résolu, et maintenant que le Grand débat est arrivé à son terme, le Président Macron doit donner des réponses. Mais il ne va pas donner en quelques mois des réponses à un problème qui s'est créé au fil des décennies. La bonne réponse, c'est changer de politique mais garder à l'esprit que les résultats ne vont pas tomber comme par miracle. Cela va être un long travail, il faut l'entreprendre et le gouvernement aura besoin de faire beaucoup de pédagogie. Il y a déjà eu des concessions faites, qui ne sont pas négligeables, et peut-être d'autres : la réindexation des petites pensions de retraites, la reconnaissance du vote blanc, la déconnexion des mandats présidentiel et législatif.
- Le problème numéro 1 est le pouvoir d'achat. Avec 1000 euros par mois et 3 enfants, comment fait-on ? C'est inadmissible !
C'est clair. Mais une fois qu'on a dit ça, on n'a pas résolu le problème de l'environnement international, de l'Europe, de son contenu et de son orientation. Je regrette que dans le débat soulevé par les Gilets jaunes à juste titre on n'ait pas fait apparaître cette dimension européenne et internationale. Mon livre donne cette vision mondiale.
- Votre livre va rester, il est incroyable : c'est une somme.
C'est un pavé, mais on peut y picorer à partir de la table des matières.
- En quoi la République française est-elle supérieure aux monarchies de l’Europe du Nord ?
La conception de la citoyenneté n’est pas la même. Beaucoup de pays du Nord acceptent ce qu’on appelle le multiculturalisme, c’est-à-dire la coexistence de communautés séparées. « Séparés mais égaux », c’était la devise de l’Apartheid. Or, jusqu’à nouvel ordre, nous n’acceptons pas ce modèle multiculturaliste : nous sommes une République de citoyens.
- Le Président de la République de votre Panthéon ?
Pour moi, le plus grand homme d’Etat du XXè siècle, c’est le Général de Gaulle.
- Le personnage historique de votre Panthéon ?
Il y a un officier inconnu auquel j’ai consacré un film, c’est Rossel, le seul officier de l’armée française qui rejoint la commune parce que, disait-il, « je choisis le parti de ceux qui n’ont pas capitulé ». C’est une figure héroïque que j’aimerais ressusciter.
- Le roman de votre Panthéon ?
Quatrevingt-treize, de Victor Hugo.
- Le chanteur de votre Panthéon ?
Jacques Brel.
- Le rappeur de votre Panthéon ?
J’hésite beaucoup entre les deux qui se sont tapé dessus ! Je les renvoie dos-à-dos.
- Le comique de votre Panthéon ?
Fernandel ou Bourvil.
- Le sportif de votre Panthéon ?
Kopa.
- L’acteur de votre Panthéon ?
Dussolier.
- L’actrice de votre Panthéon ?
Jeanne Moreau.
- Le plat de votre Panthéon ?
Le couscous !
- L’animal de votre Panthéon ?
Le chat.
Source : Les Terriens du samedi - C8
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