- La déclaration de Manuel Valls (« la Corse n’est pas une zone de non droit. L’Etat ne reculera pas ») est bienvenue. On aurait aimé l’entendre plus tôt car bien évidemment l’Etat ne peut plus reculer. Il est devant des exigences inacceptables que veulent les nationalistes installés à la tête de la collectivité territoriale. Ils veulent l’amnistie pour ceux qu’ils appellent les « détenus politiques ». C’est inacceptable: il n’y a pas de « détenus politiques ». Ils veulent un statut de « résident privilégié » du point de vue fiscal. La loi est la même pour tous sur toute l’étendue de la République. Troisièmement, ils veulent la co-officialité du corse et du français, mais on ne peut pas l’accepter en Corse, pas plus qu’ailleurs. Le Français est la langue de la République, sinon on va vers un système où les gens ne s’entendront plus puisque tous les actes de l’état civil pourraient être rédigés soit en français soit dans un idiome local.
- J’ai le souvenir du processus de Matignon. On lui a offert le chemin qui l’a conduit là où il est, c’est-à-dire à la tête de l’assemblée de Corse. Disons que ce sont les reculades de l’Etat depuis des décennies et puis la liquéfaction de la classe politique locale, tant de droite que de gauche : M. Rossi, M. Rocca-Serra d’un côté, M. Giacobbi de l’autre. Cette classe politique s’est discréditée et effectivement la coalition des nationalistes et des autonomistes est arrivée en tête, mais je rappelle avec 35% des votants c’est-à-dire d’un tout petit tiers des inscrits, un quart sans doute.
- Donc rien n’est perdu, il faut que les Corses se réveillent, fassent le ménage et se donnent des hommes politiques qui les représentent vraiment.
- Il n’est pas usuel que des gens veuillent se faire justice eux-mêmes. Ils veulent se substituer aux autorités de l’Etat. Ces manifestations, dans la cité dite des Jardins de l’empereur, étaient tout à fait déplacées. C’est là tomber dans l’engrenage de la violence que peuvent souhaiter les terroristes. Le saccage d’un lieu de prière n’est pas admissible, pas plus que n’étaient acceptables les attaques contre des pompiers et des policiers. Mais là, il y a de résultats puisqu’il y a eu deux mises en examen. J’attends également qu’il y ait des interpellations concernant le saccage d’un lieu de prière.
- Les nationalistes ont toujours porté des mots d’ordre qui étaient des mots d’ordre xénophobes. « Arabe Fora », par exemple, qui était écrit sur les murs de l’île depuis fort longtemps. Je pense que quand on est républicain, on ne l’est pas à moitié. On doit combattre les nationalistes aussi bien que le Front National.
- J’avais accepté qu’on renonce au préalable de la cessation de la violence. Le processus de Matignon s’était engagé depuis presque un an mais ce que je n’ai pas accepté, c’était le projet de dévolution de la compétence législative à l’assemblée de Corse, c’était le démantèlement de l’Etat, qui d’ailleurs a beaucoup « progressé » depuis.
- M. Valls essaie de mettre un coup d’arrêt à cette dérive.
- Je pense que la situation est grave. En effet les attentats terroristes ne vont pas cesser. La France est dans une situation difficile, parce que le chômage est très élevé. Nous avons une immigration importante mais mal intégrée. Le défi pour l’avenir, c’est de l’intégrer vraiment et la réussite de cette intégration conditionne la capacité de la France à continuer son histoire mais encore faut-il qu’elle veuille agréger ces jeunes nés des générations les plus récentes de l’immigration et que ces jeunes le veuillent. D’où l’importance de cette question de la déchéance de nationalité.
- Si on prend la lutte contre le terrorisme, on peut dire que cette mesure de déchéance de la nationalité n’est pas nécessaire. Effectivement des gens qui se font sauter au milieu d’une foule innocente ne se laisseront pas dissuader par la perspective du retrait de leur passeport. Mais si on se place dans la perspective de la réussite de l’intégration, une France du XXIè siècle, ouverte sur l’Afrique, le monde arabe et musulman, et ouverte sur le monde en général, c’est important pour faire prendre au sérieux la question de la nationalité car il faut que la France ait confiance en elle - et je crois en sa capacité de résilience - mais il faut aussi que ces jeunes prennent au sérieux la nationalité. On ne peut pas accepter qu’ils y aient des « Français de papier ». Des « Français de papier », cela n’existe pas. Ou bien on est Français, ou bien on ne l’est pas.
- C’est une mesure symbolique, qui ne concernera que quelques dizaines de cas. Mais les mesures symboliques ont une importance du point de vue des valeurs, c’est-à-dire qu’elles permettent de dire que la nationalité française a une importance. Il faut que ces jeunes comprennent que leur avenir est en France, qu’on doit tout faire pour leur donner les moyens de réussir leurs vies - et de ce point de vue là, il y a encore beaucoup à faire du point de vue de l’emploi, de l’école .
- Plus profondément, il y a cette question de l’envie de faire France. Est-ce que nous voulons que la France continue, qu’elle continue son histoire?
- Il n’y a pas d’atteinte au droit français de la nationalité, qui combine le droit du sol mais aussi un élément de volonté. Si un jeune né en France et qui devient français à dix-huit ans ne veut pas l’être, il peut s’y opposer. C’est la théorie d’Ernest Renan : être français, c’est un plébiscite de tous les jours. Si quelqu’un ne veut pas être français, il peut ne pas être français. il y a le droit du sol, le jus soli, et il y a la volonté d’être français. Ceux qui s’expriment - j’ai beaucoup de respect pour Jean-Marc Ayrault - doivent le faire en connaissance de cause.
- L’idée qu’un argument serait discrédité par le premier qui l’a avancé - en l’occurence, pour la déchéance de la nationalité, c’est plutôt M. Sarkozy dans son discours de Grenoble que le Front national - ne suffit pas. Un argument mérite d’être combattu au fond. Les Français veulent des débats de fond.
- Cette proposition donc, ne me choque pas dans la mesure où elle ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux qui régissent le droit français de la nationalité. Il n’y a pas non plus de rupture d’égalité. Ou plutôt cette dernière existait déjà puisque je rappelle que des Français naturalisés peuvent être déchus de leur nationalité. J’ajoute qu’en 1804, tous ceux qui portaient les armes contre la France avaient été déchus de leur nationalité. Aujourd’hui, le fait que cette déchéance puisse frapper les binationaux qu’ils soient nés en France ou non est plutôt une amélioration dans le sens de l’égalité. Si l’on veut aller plus loin, il faut dire qu’y compris les Français nés en France peuvent être déchus de leur nationalité. Mais à ce moment-là, on fait des apatrides et il faut revoir les conventions internationales. Je demande que l’on y réfléchisse. Cela aurait un sens. Nous devons réfléchir dans le contexte de la lutte contre le terrorisme djihadiste, qui va nous occuper encore quelques années, et peut-être même davantage.
- Sur la question du référendum, on peut en discuter à l’infini car ces sujets sont complexes. Ce sont surtout des publicistes, des spécialistes du droit constitutionnel qui s’expriment à ce sujet. Les Français, pour l’immense majorité d’entre eux, n’y entendent pas grand chose ou sont pour.
Je pense qu’il revient au Président de la République de situer cette mesure dans une perspective généreuse : celle de l’intégration de tous les jeunes Français, quelle que soit leur origine, leur couleur de peau ou leur religion. C’est en même temps une question de vouloir-vivre national. est-ce que nous voulons que le bateau France continue à naviguer sur ces eaux tempétueuses qui sont devant nous. Par ailleurs, il y a un discours à tenir vis-à-vis du monde arabe-musulman. Il faut qu’il soit entraîné dans un dessein de progrès et pas laissé aux tendances les plus obscurantistes. C’est une vue d’ensemble. il faut tenir le même discours aux Français en général, aux jeunes nés de l’immigration et au monde arabe-musulman : que veut la France ?
- Le Parti socialiste ne devrait pas se déchirer sur des sujets qui ne le méritent pas. Les vraies questions sont beaucoup plus loin : la politique d’intégration, la politique de l’emploi, la question de la monnaie unique et les contraintes qu’elle implique et puis notre politique étrangère vis-à-vis du monde arabo-musulman.
Je pense qu’après une bonne discussion sur les arguments que j’ai avancés, les meilleurs esprits devraient se laisser convaincre.
- (sur la question d’une éventuelle inquiétude d’un Front national au pouvoir qui disposerait de l’outil de l’état d’urgence dans la Constitution) C’est un raisonnement qui ne me paraît pas tenir la route. pour l’instant, le Gouvernement est dirigé par Manuel Valls, le Président de la République est François Hollande et ils doivent prendre des mesures pour protéger les Français.
Le fait que le Front national pourrait arriver au gouvernement provoque évidemment en moi une inquiétude car ce que nous devons éviter, c’est l’engrenage de ressentiment, de haine, de violence dans lequel par myopie nous pourrions nous laisser entraîner. L’exemple de ce lieu de culte saccagé, c’est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Il faut faire preuve de stoïcisme, de sang-froid, de détermination, de résilience.
- (sur la phrase « un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne » appliqué à Taubira) Je ne peux évaluer si Christiane Taubira doit démissionner ou non. Je ne peux le faire à sa place. C’est une question de conscience. Ce qui est en jeu suffit-il pour motiver une démission ? Moi je peux vous dire que j’aurais eu cent raisons de démissionner, par exemple la libération des mouvements de capitaux sans contrepartie en matière d’harmonisation fiscale : lorsque j’ai appris cela, j’ai failli démissionner et puis, comme j’étais tout jeune ministre et que c’était en application de l’Acte unique que tous les députés avaient voté, je n’ai pas pensé que c’était le moment, même si j’ai protesté. Je ne lui conseille donc pas de démissionner. Je lui conseille d’agir en conscience.
- (sur le passage d’un jeune titulaire d’un bac scientifique à Drancy à Daesh) On voit que ces jeunes n’étaient pas tous abandonnés par la République. Donc pas de culture de l’excuse : c’est une démarche purement idéologique. Ce sont des gens qui sont mus par la haine peut-être de l’Occident en général mais de la France en particulier. Trop d’entre eux habitent dans des quartiers défavorisés, oui mais pas la majorité. 40% habitent dans des ZUS. Pour les terroristes djihadistes, certains à Bruxelles tiennent une auberge au bord de la route, d’autres ont des diplômes, etc, ils ne sont donc pas défavorisés, la République leur a donné la possibilité de réussir leur vie s’ils l’avaient voulu. Mais ils se sont laissés entraîner par une idéologie mortifère qui est fille de la mondialisation. J’ai parlé autrefois des « sauvageons », c’est-à-dire des jeunes qui confondent le virtuel et le réel. Eh bien nous sommes face à une espèce de « sauvageons » ici : ils ne se rendent pas compte des souffrances atroces qu’ils entraînent, je veux le croire. Ce sont des gens dont le passage à l’acte ne peut pas être excusé et nous devons combattre cette forme d’entraînement sectaire car c’est un comportement digne d’une secte.
- Je pense que François Hollande a beaucoup observé François Mitterrand. Alors, il y a de bonnes leçons à retenir de François Mitterrand, et il y en a de moins bonnes. Je n’ai pas toujours été d’accord avec François Mitterrand.
- François Hollande s’inspire de François Mitterrand tout entier. il y a une manière de faire face aux problèmes, par exemple du chômage ou de l’emploi qui me paraît témoigner d’un laxisme excessif. Je ne regrette pas de l’avoir soutenu. Je l’ai soutenu les yeux ouverts. Il faut dire qu’il a raison de ne pas se dédire car il nuirait non seulement à sa fonction mais à la clarté de la politique de la France qui, sur un sujet aussi difficile, doit rassembler tous les Français. Et je fais appel à tous mes amis de gauche et à tous ceux que je connais à droite pour faire prévaloir les intérêts de la France, la solidité dans l’épreuve, ne pas se diviser sur des questions qui sont relativement subalternes quand on a isolé les éléments de discorde.