Sur décision de Bernard Cazeneuve, Jean-Pierre Chevènement va prendre la tête de la Fondation pour l'islam de France. Des polémiques sur son appel à la «discrétion» des musulmans, à la formation des imams en passant par le financement des mosquées, il expose au Figaro sa vision de ce que devrait être l'islam de France. La ligne de crête qu'il emprunte pour éviter l'embrasement du pays n'est pas la plus aisée. L'ancien ministre de l'Intérieur veut cependant croire que la politique peut nous permettre de surmonter sereinement cette nouvelle fracture française.
Le Figaro : Pas encore élu à la tête de la Fondation pour l'islam de France, les critiques fusent. On vous reproche d'avoir conseillé la «discrétion» aux musulmans de France. Un député PS s'en est pris publiquement à vos propos, notamment cette phrase prononcée lundi matin sur France Inter: «Il y a à Saint-Denis par exemple 135 nationalités et il y en a une qui a quasiment disparu»…
Jean-Pierre Chevènement: Ces critiques publiquement exprimées ne m'ont pas échappé. Je parlais évidemment de la classe ouvrière française. La plupart de ces critiques ont un arrière-plan politique: elles procèdent d'une philosophie communautariste que j'ai toujours combattue en tant que républicain laïc. Bien que la Fondation soit d'intérêt public et que son objectif ne soit nullement cultuel, certaines voix se sont élevées pour réclamer la nomination d'une personnalité musulmane. Certaines de ces personnes s'estimaient sans doute aussi mieux qualifiées.
Je n'ai recommandé «la discrétion» que dans l'espace public de débat qui est un espace commun à tous les citoyens où j'incite non seulement les musulmans mais toutes les religions à s'exprimer de manière argumentée plutôt que par la proclamation de leur Révélation. J'ai appris que cette formulation était aussi celle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Coïncidence pour une fois heureuse.
J'ai enfin évoqué, sur les ondes de France Inter, le ralentissement du processus de l'intégration qui, à mon sens, doit reprendre. Bien entendu, la question de l'emploi est centrale. Mais en laissant s'opérer des concentrations de populations immigrées dans certaines communes, nous avons aussi contribué au ralentissement du processus de l'intégration. J'ai pris l'exemple de Saint-Denis, j'aurai pu en prendre d'autres. C'est un fait qu'il y a 135 nationalités à Saint-Denis mais dans mon esprit c'est le communautarisme qui pose problème et j'ai évoqué très clairement la disparition de la classe ouvrière française traditionnelle qui constituait un puissant facteur d'intégration. Notamment à travers ses organisations politiques et syndicales ou à travers l'école où la maîtrise de la langue française n'est plus assurée dans les petites classes. Quiconque veut bien se reporter à ce que j'ai dit sur France Inter verra la logique de mon raisonnement (il y a le problème de la laïcité mais il y a aussi celui de l'intégration) et ne cédera pas aux procès d'intention fielleux qui me sont faits par quelques snipers de plume et de micro dont je suis la cible depuis très longtemps. Il ne faut quand même pas renverser les rôles!
Le Figaro : Pas encore élu à la tête de la Fondation pour l'islam de France, les critiques fusent. On vous reproche d'avoir conseillé la «discrétion» aux musulmans de France. Un député PS s'en est pris publiquement à vos propos, notamment cette phrase prononcée lundi matin sur France Inter: «Il y a à Saint-Denis par exemple 135 nationalités et il y en a une qui a quasiment disparu»…
Jean-Pierre Chevènement: Ces critiques publiquement exprimées ne m'ont pas échappé. Je parlais évidemment de la classe ouvrière française. La plupart de ces critiques ont un arrière-plan politique: elles procèdent d'une philosophie communautariste que j'ai toujours combattue en tant que républicain laïc. Bien que la Fondation soit d'intérêt public et que son objectif ne soit nullement cultuel, certaines voix se sont élevées pour réclamer la nomination d'une personnalité musulmane. Certaines de ces personnes s'estimaient sans doute aussi mieux qualifiées.
Je n'ai recommandé «la discrétion» que dans l'espace public de débat qui est un espace commun à tous les citoyens où j'incite non seulement les musulmans mais toutes les religions à s'exprimer de manière argumentée plutôt que par la proclamation de leur Révélation. J'ai appris que cette formulation était aussi celle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Coïncidence pour une fois heureuse.
J'ai enfin évoqué, sur les ondes de France Inter, le ralentissement du processus de l'intégration qui, à mon sens, doit reprendre. Bien entendu, la question de l'emploi est centrale. Mais en laissant s'opérer des concentrations de populations immigrées dans certaines communes, nous avons aussi contribué au ralentissement du processus de l'intégration. J'ai pris l'exemple de Saint-Denis, j'aurai pu en prendre d'autres. C'est un fait qu'il y a 135 nationalités à Saint-Denis mais dans mon esprit c'est le communautarisme qui pose problème et j'ai évoqué très clairement la disparition de la classe ouvrière française traditionnelle qui constituait un puissant facteur d'intégration. Notamment à travers ses organisations politiques et syndicales ou à travers l'école où la maîtrise de la langue française n'est plus assurée dans les petites classes. Quiconque veut bien se reporter à ce que j'ai dit sur France Inter verra la logique de mon raisonnement (il y a le problème de la laïcité mais il y a aussi celui de l'intégration) et ne cédera pas aux procès d'intention fielleux qui me sont faits par quelques snipers de plume et de micro dont je suis la cible depuis très longtemps. Il ne faut quand même pas renverser les rôles!
Pourquoi avoir accepté cette fonction?
Je me situe dans une perspective politique où la France doit pouvoir dominer les fractures que nos adversaires veulent exploiter. Je ne suis pas naïf. Les théoriciens et les stratèges de Daech ne se cachent pas de vouloir jeter notre pays dans la guerre civile. Les tenants du communautarisme leur apportent leur aide, inconsciemment, je veux le croire. Il y a 4,1 millions de musulmans en France. C'est l'intérêt du pays de faire en sorte qu'ils puissent exercer tous les droits du citoyen, la contrepartie étant qu'ils en acceptent les devoirs. La France doit résorber ses fractures sociales, surmonter ses faiblesses, «ouvrir ses bras» comme l'a dit Bernard Cazeneuve à tous ses enfants. Mais ce conseil vaut dans tous les sens. J'admire d'ailleurs l'expression toujours aisée du ministre de l'Intérieur. Si j'ai accepté le principe de cette tâche, c'est par sympathie pour sa personne et eu égard à la très grande difficulté de sa mission. La relance du processus de l'islam de France que j'avais initié en 1999 procède de ce dessein d'apaisement. Il faut que les musulmans puissent pratiquer librement leur culte mais dans un cadre républicain, et l'islam de France (je souligne le de) a évidemment pour but de s'autonomiser, non seulement du point de vue de ses financements mais même de sa démarche.
Comment autonomiser ces financements?
Premièrement, il y a tout ce qui n'est pas cultuel pour lequel le financement public est autorisé. Par exemple, la formation civique, juridique, linguistique des imams. Les recherches en islamologie. L'action éducative et sociale en direction des organismes de jeunesse. Rien de tout cela n'est cultuel et, par conséquent, l'État doit pouvoir y contribuer mais aussi des donateurs publics ou privés ainsi que l'immense masse des fidèles. Les financements seront exclusivement français. Je rappelle que selon l'Ined, en 2008, il y avait 4,1 millions de musulmans en France. C'est une religion minoritaire mais le taux de pratique est relativement élevé par rapport à la plupart des autres confessions. Il y a le système dit du «denier du culte» qui doit pouvoir être utilisé et qui l'est d'ailleurs largement. Le ministre de l'Intérieur a aussi évoqué une redevance sur le halal. Un tel financement n'ira pas à la fondation mais à l'association cultuelle. L'origine exclusivement française des fonds constitue une des conditions pour que l'islam de France s'autonomise par rapport à des influences dont toutes d'ailleurs ne sont pas mal intentionnées.
Quid de la formation des imams?
C'est le sujet central à mes yeux. Il y a eu des négociations entre le ministère des Affaires religieuses de l'Algérie ou encore avec le Maroc pour établir les conditions selon lesquelles les imams peuvent être religieusement formés dans ces pays qui combattent comme nous le terrorisme djihadiste. Toutefois, ces imams devront être francophones et astreints à passer, en France, le diplôme universitaire de formation juridique et civique qui existe dans une douzaine d'universités. Par la suite, on leur demandera d'être titulaires d'un diplôme d'islamologie. C'est le troisième pied du tripode: fondation d'utilité publique, association cultuelle de la loi de 1905, instituts d'islamologie. Peut-on aller plus loin aujourd'hui? Le ministre veut déjà que nous atteignions ces résultats dans un délai relativement bref.
Comment tarir les financements étrangers?
L'autonomisation ne peut être que progressive. Les États étrangers comme le Maroc ou l'Algérie ou la Turquie ne sont pas des adversaires. Nous les considérons comme des partenaires, des pays alliés et pour certains d'entre eux des amis proches. Les pays du Maghreb partagent notre vigilance face au progrès du fondamentalisme religieux. Nous avons des intérêts communs. Nous gérerons ces affaires de manière progressive, négociée et responsable.
Concrètement, le contrôle des financements peut s'exercer sur les associations cultuelles comme sur celles de la loi de 1901. Les instructions seront données.
Quel est le budget de la Fondation?
Le budget de la Fondation a été évalué par le ministère à 5 millions d'euros mais ce n'est qu'un commencement. Le gouvernement issu des élections de 2017 y pourvoira. Je rappelle que j'ai lancé la consultation de 1999 et que le processus s'est poursuivi après 2002, à la demande du président Chirac, Nicolas Sarkozy a créé en 2003 le Conseil français du culte musulman (CFCM), enfin c'est Dominique de Villepin qui a eu l'idée de cette Fondation pour les œuvres de l'islam de France. C'est un processus de longue haleine qui n'appartient à aucun parti politique parce qu'il répond à l'intérêt national.
Comment ne pas laisser de côté les petites salles de prière, en rupture avec les institutions représentatives de l'islam de France…
Prenons la mesure des choses: nous ne sommes plus au temps de l'islam des caves et des garages! Beaucoup de travail a été réalisé depuis 1999 entre l'administration française et les représentants de l'islam en France pour financer des lieux de culte dignes et souvent même de remarquable facture. J'ajoute que le Conseil français du culte musulman qui a l'immense mérite d'exister aujourd'hui entend à juste titre certifier les imans dont la formation théologique sera complétée par une formation civique, juridique délivrée par l'État. Le CFCM vient aussi de créer un conseil théologique. Précisons enfin que l'islam d'origine maghrébine est malékite, par tradition modéré, soucieux de justice et de paix. Les écoles d'interprétation du texte sacré tiennent largement compte du contexte, ce qui a peu à voir avec le salafisme d'origine wahhabite. Une approche de l'islam plus en phase avec le progrès des connaissances est possible même si c'est là l'affaire des musulmans que de veiller aux évolutions nécessaires et en aucun cas la mienne.
Mais il y a une véritable situation de rupture entre ces jeunes radicalisés et l'islam de France?
En vérité, les jeunes en voie de radicalisation dont vous parlez sont très éloignés de l'islam. Nous sommes en présence d'un phénomène très particulier où il y a des prédicateurs salafistes en petit nombre dont certains ont d'ailleurs été récemment expulsés. Je ne dis pas que ce sont forcément des terroristes mais leurs prêches alimentent une vision des choses qui favorise les interprétations eschatologiques et des démarches en définitive suicidaires pour eux-mêmes et pour les musulmans. Des théologiens confirmés peuvent seuls œuvrer au plan de la religion pour détourner ces jeunes, souvent «hors sol» et ayant rompu leurs amarres avec leur pays d'origine sans s'être intégrés à la France, fréquemment compromis dans des affaires de délinquance, de se laisser tenter par des actes terroristes aussi odieux que suicidaires.
Êtes-vous inquiet?
Je suis inquiet mais convaincu que l'on peut trouver la ligne de crête, très difficile, malgré toutes les contraintes politiques, sociologiques, la mauvaise foi, les enjeux électoraux sans oublier l'huile jetée sur le feu par ce que l'un de mes amis, ancien ministre des Affaires étrangères, qualifie de «système hystérico-médiatique»… Comment résister? J'essaye de me frayer un chemin qui est une voie de raison pour montrer aux Français que tout ce qui va dans le sens de l'excès, de la surenchère, de l'escalade, fait le jeu de l'ennemi, de Daech, de tous ceux qui nous veulent du mal et qui veulent profiter de ces fractures que nous avons laissé s'accumuler dans la société française pour la faire exploser. Le directeur de la DGSI évoque des risques de guerre civile. C'est un haut fonctionnaire qui dispose de beaucoup d'éléments que je n'ai pas. Nous sommes obligés de prendre tout cela au sérieux. Des théologiens fanatiques visent l'Europe et la France comme un maillon faible de l'Occident. Nous avons vu la succession des attentats, je crains qu'il y en ait d'autres. Je me demande comment évoluera la psychologie du pays. L'émergence de l'islam de France est donc un élément, modeste, mais important dans la réponse que nous devons bâtir contre cette stratégie mortifère. Il faut toujours comprendre les motivations de ses adversaires. Ils ont une vision eschatologique. Leur modèle, c'est la fin de l'Empire sassanide et de l'Empire byzantin, c'est-à-dire de l'Occident. Ils se trompent d'époque. Beaucoup de musulmans modérés savent que le bon Dieu a d'autres cartes dans son jeu que d'organiser une troisième guerre mondiale!
Le burkini n'a-t-il pas révélé une fracture en France dans le monde politique entre une ligne républicaine et une ligne multiculturelle?
Il y a effectivement deux approches, la République et le communautarisme. La société multiculturelle prévaut dans les pays anglo-saxons mais avec beaucoup d'effets pervers. Ces pays réfléchissent d'ailleurs actuellement aux conséquences de leur modèle. Dans l'affaire du burkini, qui n'est en aucune manière une tenue islamique, il y a des femmes qui peut-être le portent par pudeur et d'autres certainement par provocation. Ce qui m'a surpris, c'est que le Conseil d'État se soit placé uniquement sur le terrain des libertés personnelles et qu'il ne se soit pas préoccupé de la question de l'intégration. Un conseiller d'État, M. Tuot, a développé, en 2013, dans un rapport l'idée d'une société dite inclusive où c'est à la société française de faire mouvement pour s'adapter aux migrants et non l'inverse. J'ai développé, à côté de M. Tuot, dans la revue Le Débat de septembre 2015 la thèse classique de l'intégration. C'est un débat fondamental auquel je renvoie vos lecteurs.
Ne va-t-on pas, dès lors, vers une contradiction entre l'inflation d'une requête de droits individuels et une vision républicaine de la société?
C'est un vrai conflit. La République n'est pas la société des individus. La République est celle des droits de l'homme ET du citoyen. Vous remarquerez que la mention «et du citoyen» a partout disparu. «La Ligue des droits de l'homme» elle-même qui a porté plainte dans l'affaire du burkini ne s'appelle plus «la Ligue des droits de l'homme et du citoyen». C'est donc un combat d'idées entre deux conceptions du monde, le multiculturalisme ou communautarisme, c'est-à-dire le fait que l'on délègue à des communautés le soin, à la limite, de dire le droit en dernier ressort, et par ailleurs le modèle républicain qui pose le primat de la loi pour des citoyens qui sont tous égaux devant elle. Ce modèle républicain est évidemment supérieur au modèle multiculturel dont le principe d'organisation est différentialiste: «Égaux, mais séparés». Ne craignons pas de l'affirmer.
Je me situe dans une perspective politique où la France doit pouvoir dominer les fractures que nos adversaires veulent exploiter. Je ne suis pas naïf. Les théoriciens et les stratèges de Daech ne se cachent pas de vouloir jeter notre pays dans la guerre civile. Les tenants du communautarisme leur apportent leur aide, inconsciemment, je veux le croire. Il y a 4,1 millions de musulmans en France. C'est l'intérêt du pays de faire en sorte qu'ils puissent exercer tous les droits du citoyen, la contrepartie étant qu'ils en acceptent les devoirs. La France doit résorber ses fractures sociales, surmonter ses faiblesses, «ouvrir ses bras» comme l'a dit Bernard Cazeneuve à tous ses enfants. Mais ce conseil vaut dans tous les sens. J'admire d'ailleurs l'expression toujours aisée du ministre de l'Intérieur. Si j'ai accepté le principe de cette tâche, c'est par sympathie pour sa personne et eu égard à la très grande difficulté de sa mission. La relance du processus de l'islam de France que j'avais initié en 1999 procède de ce dessein d'apaisement. Il faut que les musulmans puissent pratiquer librement leur culte mais dans un cadre républicain, et l'islam de France (je souligne le de) a évidemment pour but de s'autonomiser, non seulement du point de vue de ses financements mais même de sa démarche.
Comment autonomiser ces financements?
Premièrement, il y a tout ce qui n'est pas cultuel pour lequel le financement public est autorisé. Par exemple, la formation civique, juridique, linguistique des imams. Les recherches en islamologie. L'action éducative et sociale en direction des organismes de jeunesse. Rien de tout cela n'est cultuel et, par conséquent, l'État doit pouvoir y contribuer mais aussi des donateurs publics ou privés ainsi que l'immense masse des fidèles. Les financements seront exclusivement français. Je rappelle que selon l'Ined, en 2008, il y avait 4,1 millions de musulmans en France. C'est une religion minoritaire mais le taux de pratique est relativement élevé par rapport à la plupart des autres confessions. Il y a le système dit du «denier du culte» qui doit pouvoir être utilisé et qui l'est d'ailleurs largement. Le ministre de l'Intérieur a aussi évoqué une redevance sur le halal. Un tel financement n'ira pas à la fondation mais à l'association cultuelle. L'origine exclusivement française des fonds constitue une des conditions pour que l'islam de France s'autonomise par rapport à des influences dont toutes d'ailleurs ne sont pas mal intentionnées.
Quid de la formation des imams?
C'est le sujet central à mes yeux. Il y a eu des négociations entre le ministère des Affaires religieuses de l'Algérie ou encore avec le Maroc pour établir les conditions selon lesquelles les imams peuvent être religieusement formés dans ces pays qui combattent comme nous le terrorisme djihadiste. Toutefois, ces imams devront être francophones et astreints à passer, en France, le diplôme universitaire de formation juridique et civique qui existe dans une douzaine d'universités. Par la suite, on leur demandera d'être titulaires d'un diplôme d'islamologie. C'est le troisième pied du tripode: fondation d'utilité publique, association cultuelle de la loi de 1905, instituts d'islamologie. Peut-on aller plus loin aujourd'hui? Le ministre veut déjà que nous atteignions ces résultats dans un délai relativement bref.
Comment tarir les financements étrangers?
L'autonomisation ne peut être que progressive. Les États étrangers comme le Maroc ou l'Algérie ou la Turquie ne sont pas des adversaires. Nous les considérons comme des partenaires, des pays alliés et pour certains d'entre eux des amis proches. Les pays du Maghreb partagent notre vigilance face au progrès du fondamentalisme religieux. Nous avons des intérêts communs. Nous gérerons ces affaires de manière progressive, négociée et responsable.
Concrètement, le contrôle des financements peut s'exercer sur les associations cultuelles comme sur celles de la loi de 1901. Les instructions seront données.
Quel est le budget de la Fondation?
Le budget de la Fondation a été évalué par le ministère à 5 millions d'euros mais ce n'est qu'un commencement. Le gouvernement issu des élections de 2017 y pourvoira. Je rappelle que j'ai lancé la consultation de 1999 et que le processus s'est poursuivi après 2002, à la demande du président Chirac, Nicolas Sarkozy a créé en 2003 le Conseil français du culte musulman (CFCM), enfin c'est Dominique de Villepin qui a eu l'idée de cette Fondation pour les œuvres de l'islam de France. C'est un processus de longue haleine qui n'appartient à aucun parti politique parce qu'il répond à l'intérêt national.
Comment ne pas laisser de côté les petites salles de prière, en rupture avec les institutions représentatives de l'islam de France…
Prenons la mesure des choses: nous ne sommes plus au temps de l'islam des caves et des garages! Beaucoup de travail a été réalisé depuis 1999 entre l'administration française et les représentants de l'islam en France pour financer des lieux de culte dignes et souvent même de remarquable facture. J'ajoute que le Conseil français du culte musulman qui a l'immense mérite d'exister aujourd'hui entend à juste titre certifier les imans dont la formation théologique sera complétée par une formation civique, juridique délivrée par l'État. Le CFCM vient aussi de créer un conseil théologique. Précisons enfin que l'islam d'origine maghrébine est malékite, par tradition modéré, soucieux de justice et de paix. Les écoles d'interprétation du texte sacré tiennent largement compte du contexte, ce qui a peu à voir avec le salafisme d'origine wahhabite. Une approche de l'islam plus en phase avec le progrès des connaissances est possible même si c'est là l'affaire des musulmans que de veiller aux évolutions nécessaires et en aucun cas la mienne.
Mais il y a une véritable situation de rupture entre ces jeunes radicalisés et l'islam de France?
En vérité, les jeunes en voie de radicalisation dont vous parlez sont très éloignés de l'islam. Nous sommes en présence d'un phénomène très particulier où il y a des prédicateurs salafistes en petit nombre dont certains ont d'ailleurs été récemment expulsés. Je ne dis pas que ce sont forcément des terroristes mais leurs prêches alimentent une vision des choses qui favorise les interprétations eschatologiques et des démarches en définitive suicidaires pour eux-mêmes et pour les musulmans. Des théologiens confirmés peuvent seuls œuvrer au plan de la religion pour détourner ces jeunes, souvent «hors sol» et ayant rompu leurs amarres avec leur pays d'origine sans s'être intégrés à la France, fréquemment compromis dans des affaires de délinquance, de se laisser tenter par des actes terroristes aussi odieux que suicidaires.
Êtes-vous inquiet?
Je suis inquiet mais convaincu que l'on peut trouver la ligne de crête, très difficile, malgré toutes les contraintes politiques, sociologiques, la mauvaise foi, les enjeux électoraux sans oublier l'huile jetée sur le feu par ce que l'un de mes amis, ancien ministre des Affaires étrangères, qualifie de «système hystérico-médiatique»… Comment résister? J'essaye de me frayer un chemin qui est une voie de raison pour montrer aux Français que tout ce qui va dans le sens de l'excès, de la surenchère, de l'escalade, fait le jeu de l'ennemi, de Daech, de tous ceux qui nous veulent du mal et qui veulent profiter de ces fractures que nous avons laissé s'accumuler dans la société française pour la faire exploser. Le directeur de la DGSI évoque des risques de guerre civile. C'est un haut fonctionnaire qui dispose de beaucoup d'éléments que je n'ai pas. Nous sommes obligés de prendre tout cela au sérieux. Des théologiens fanatiques visent l'Europe et la France comme un maillon faible de l'Occident. Nous avons vu la succession des attentats, je crains qu'il y en ait d'autres. Je me demande comment évoluera la psychologie du pays. L'émergence de l'islam de France est donc un élément, modeste, mais important dans la réponse que nous devons bâtir contre cette stratégie mortifère. Il faut toujours comprendre les motivations de ses adversaires. Ils ont une vision eschatologique. Leur modèle, c'est la fin de l'Empire sassanide et de l'Empire byzantin, c'est-à-dire de l'Occident. Ils se trompent d'époque. Beaucoup de musulmans modérés savent que le bon Dieu a d'autres cartes dans son jeu que d'organiser une troisième guerre mondiale!
Le burkini n'a-t-il pas révélé une fracture en France dans le monde politique entre une ligne républicaine et une ligne multiculturelle?
Il y a effectivement deux approches, la République et le communautarisme. La société multiculturelle prévaut dans les pays anglo-saxons mais avec beaucoup d'effets pervers. Ces pays réfléchissent d'ailleurs actuellement aux conséquences de leur modèle. Dans l'affaire du burkini, qui n'est en aucune manière une tenue islamique, il y a des femmes qui peut-être le portent par pudeur et d'autres certainement par provocation. Ce qui m'a surpris, c'est que le Conseil d'État se soit placé uniquement sur le terrain des libertés personnelles et qu'il ne se soit pas préoccupé de la question de l'intégration. Un conseiller d'État, M. Tuot, a développé, en 2013, dans un rapport l'idée d'une société dite inclusive où c'est à la société française de faire mouvement pour s'adapter aux migrants et non l'inverse. J'ai développé, à côté de M. Tuot, dans la revue Le Débat de septembre 2015 la thèse classique de l'intégration. C'est un débat fondamental auquel je renvoie vos lecteurs.
Ne va-t-on pas, dès lors, vers une contradiction entre l'inflation d'une requête de droits individuels et une vision républicaine de la société?
C'est un vrai conflit. La République n'est pas la société des individus. La République est celle des droits de l'homme ET du citoyen. Vous remarquerez que la mention «et du citoyen» a partout disparu. «La Ligue des droits de l'homme» elle-même qui a porté plainte dans l'affaire du burkini ne s'appelle plus «la Ligue des droits de l'homme et du citoyen». C'est donc un combat d'idées entre deux conceptions du monde, le multiculturalisme ou communautarisme, c'est-à-dire le fait que l'on délègue à des communautés le soin, à la limite, de dire le droit en dernier ressort, et par ailleurs le modèle républicain qui pose le primat de la loi pour des citoyens qui sont tous égaux devant elle. Ce modèle républicain est évidemment supérieur au modèle multiculturel dont le principe d'organisation est différentialiste: «Égaux, mais séparés». Ne craignons pas de l'affirmer.