Affaires Publiques - 15 mars 2019 (24.4 Mo)
Verbatim
Alexis Lacroix : Jean-Pierre Chevènement, au cœur de Passion de la France, il y a un portrait non dénué d’empathie de l’actuel Président de la République française. Quelle lecture faites-vous de son appel récent à une « Renaissance de l’Europe » ?
Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a été obligé de tenir compte du fait que Madame Merkel n’ait ni voulu ni pu apporter de réponse satisfaisante à ce qui était sa proposition initiale : une forte relance budgétaire contracyclique à l’échelle de l’Europe toute entière, analogue à celle qu’on peut observer aux Etats-Unis ou en Chine. Le gouvernement allemand a refusé pour des raisons intérieures, mais aussi parce que la tradition allemande est celle de l’ordolibéralisme et du mercantilisme. On vient encore de le voir avec les déclarations d'Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), qui a verrouillé presque toutes les portes en maintenant des positions dont elle sait qu’elles ne sont pas acceptables en France.
Cette tribune d’AKK parue dans Die Welt am Sonntag, désapprouve Emmanuel Macron sur pas mal de points. Quelles sont les orientations idéologiques de la droite allemande ?
La tribune manifeste une crispation de la droite allemande, une réaffirmation de sa ligne traditionnelle c’est-à-dire un refus de tout transfert financier à l’échelle de l’Europe. C’est une erreur de la part des conservateurs allemands car l’Allemagne a beaucoup bénéficié de l’Europe, qui lui a permis de se réunifier pacifiquement, elle a permis l’élargissement qui la met à nouveau en position centrale et même prépondérante. L’Allemagne devrait prendre soin de la santé de l’Europe. Or se sont créés en Europe de très forts déséquilibres depuis l’entrée en vigueur de l’euro : la production industrielle allemande a augmenté de 36% ; la production industrielle française a baissé de 3%, les espagnole et italienne ont baissé de 15 et 16%. Il y a donc des forces divergentes qui s’exercent au sein de la zone euro, et non convergentes comme on l’avait pensé. Cela mérite une analyse, un diagnostic et une ordonnance, des mesures. Le fait qu’AKK – qui n’est certes pas la Chancelière mais la patronne de la CDU – tienne une position aussi fermée par rapport aux propositions du Président Macron, qu’elle réitère cette demande qui n’a aucune chance d’être jamais acceptée d’une mutualisation du siège permanent de la France au Conseil de sécurité, et qu’elle revienne sur une disposition des Traités à savoir la localisation à Strasbourg du parlement européen, tout cela n’est pas signe d’une grande ouverture…
Alexis Lacroix : Jean-Pierre Chevènement, au cœur de Passion de la France, il y a un portrait non dénué d’empathie de l’actuel Président de la République française. Quelle lecture faites-vous de son appel récent à une « Renaissance de l’Europe » ?
Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a été obligé de tenir compte du fait que Madame Merkel n’ait ni voulu ni pu apporter de réponse satisfaisante à ce qui était sa proposition initiale : une forte relance budgétaire contracyclique à l’échelle de l’Europe toute entière, analogue à celle qu’on peut observer aux Etats-Unis ou en Chine. Le gouvernement allemand a refusé pour des raisons intérieures, mais aussi parce que la tradition allemande est celle de l’ordolibéralisme et du mercantilisme. On vient encore de le voir avec les déclarations d'Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), qui a verrouillé presque toutes les portes en maintenant des positions dont elle sait qu’elles ne sont pas acceptables en France.
Cette tribune d’AKK parue dans Die Welt am Sonntag, désapprouve Emmanuel Macron sur pas mal de points. Quelles sont les orientations idéologiques de la droite allemande ?
La tribune manifeste une crispation de la droite allemande, une réaffirmation de sa ligne traditionnelle c’est-à-dire un refus de tout transfert financier à l’échelle de l’Europe. C’est une erreur de la part des conservateurs allemands car l’Allemagne a beaucoup bénéficié de l’Europe, qui lui a permis de se réunifier pacifiquement, elle a permis l’élargissement qui la met à nouveau en position centrale et même prépondérante. L’Allemagne devrait prendre soin de la santé de l’Europe. Or se sont créés en Europe de très forts déséquilibres depuis l’entrée en vigueur de l’euro : la production industrielle allemande a augmenté de 36% ; la production industrielle française a baissé de 3%, les espagnole et italienne ont baissé de 15 et 16%. Il y a donc des forces divergentes qui s’exercent au sein de la zone euro, et non convergentes comme on l’avait pensé. Cela mérite une analyse, un diagnostic et une ordonnance, des mesures. Le fait qu’AKK – qui n’est certes pas la Chancelière mais la patronne de la CDU – tienne une position aussi fermée par rapport aux propositions du Président Macron, qu’elle réitère cette demande qui n’a aucune chance d’être jamais acceptée d’une mutualisation du siège permanent de la France au Conseil de sécurité, et qu’elle revienne sur une disposition des Traités à savoir la localisation à Strasbourg du parlement européen, tout cela n’est pas signe d’une grande ouverture…
Le souhait d’AKK de reconcentrer à Bruxelles les activités du parlement européen au détriment de Strasbourg est-il une atteinte directe à la France ?
C’est une méconnaissance de ce que stipulent les Traités. Nous faisons beaucoup d’efforts pour nous rapprocher de l’Allemagne – Traité d’Aix-la-Chapelle, le projet de statut pour la collectivité dite européenne d’Alsace, alors qu’il n’y a pas de Land européen de Bade Wurtemberg ou de Sarre… – et en échange, il n’y a pas de réciprocité. Ce n’est pas bon. L’Europe doit tenir sur un équilibre franco-allemand, c’est-à-dire l’engagement que le Chancelier Adenauer avait pris vis-à-vis de Jean Monnet en 1950. Il sera difficile de faire bouger l’Allemagne.
Que pensez-vous du concept de « souveraineté européenne » ?
J’aimerais que l’on s’entende sur les mots : qui dit « souveraineté » dit « souveraineté populaire ». Or il n’y a pas de peuple européen, comme le souligne le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, autorité pour l’interprétation des textes et des traités. Cela dit, si l’on veut dire par là que l’on doit aller vers une Europe européenne, c’est-à-dire une entité stratégique ayant la possibilité d’intervenir dans la vie internationale, entre les Etats-Unis et la Chine, qui vont structurer le XXIè siècle, c’est une bonne idée. L’Europe européenne oui, la « souveraineté européenne », je suis beaucoup plus réservé : cela introduit qu’il pourrait y avoir une sorte de supra ou de post nationalisme, que l’on pourrait construire l’Europe en dehors des peuples, non démocratique.
Votre prochain colloque sur « la souveraineté européenne », le 16 avril prochain, développera ces idées ?
Res Publica est une fondation de recherche, d’intérêt public. Il y a aura donc différentes idées qui s’exprimeront sur ce sujet. C’est un sujet ouvert, nous donnons toujours la parole à l’une et l’autre thèse.
Tournons-nous vers l’Italie, gouvernée par une coalition des populistes de droite et de gauche pour faire vite, c’est-à-dire la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. On sait qu’ils sont dans le viseur du pouvoir français, mais il y a dans la tribune d’AKK une pique voilée contre Emmanuel Macron, à qui elle reproche de surjouer l’opposition des progressistes et des populistes. Partagez-vous cette grille d’analyse progressistes versus populistes ?
Le Président Macron a introduit une modulation dans cette opposition un peu clivante qui ne rend pas compte de toutes les différences qui existent entre les pays européens. Par exemple, on ne peut pas assimiler le PiS polonais à la Ligue italienne, de même le Mouvement 5 étoiles n’est par le RN mais peut-être un mixte de la FI et d’Europe Écologie-les Verts, au sens où il y a quelque chose qui fait appel à la démocratie directe, un côté Gilets jaunes. Quant au viseur du président Macron, c’est quand même Monsieur Di Maio qui est venu en France pour rencontrer les Gilets jaunes... Mais il vaut mieux ne pas trop faire monter la mayonnaise. Les Italiens sont très proches des Français, il faut chercher à dissiper les malentendus.
Dans Passion de la France, vous saluez la Virtù d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire son courage, sa chance, son audace. Quelle est cette audace dans sa posture européenne ?
Il a fallu à Emmanuel Macron beaucoup de détermination d’abord pour créer son mouvement, être candidat, puis l’emporter en faisant turbuler le système. Il a mené à bien cette affaire mais il l’a fait au nom d’un mot d’ordre, « en même temps de droite et de gauche », qui ne permet pas le dépassement. Les Français se sont peu à peu détournés des deux partis devenus quasi interchangeables puisqu’ils suivaient la même politique. On voit la montée de l’abstention, des partis extrêmes, et les partis dits de gouvernement en 2017 n’emportent plus que le quart de l’électorat. C’est très peu. Emmanuel Macron a eu cette idée que l’on pouvait faire turbuler le système, mais selon moi la République est « au-dessus » de la droite et de la gauche. Il ne s’agit pas de faire un compromis entre les deux.
Dans Passion de la France, vous proposez au Président de la République un autre « en même temps » : trouver les moyens de renforcer la Nation française et construire véritablement l’Europe politique. Pour beaucoup, ça n’est pas compatible.
Il ne faut pas opposer la Nation à l’Europe. Il faut concevoir l’Europe dans le prolongement des Nations. L’opposition entre nationalistes et européistes n’a pas de sens : il faut concevoir une Europe qui s’appuie sur la démocratie qui vit dans les Nations, car le sentiment d’appartenance est d’abord national et non européen. Or le sentiment d’appartenance fonde la démocratie.
Cela vous distingue très nettement dans la famille souverainiste, d’un Nicolas Dupont-Aignan par exemple, qui serait plutôt sur une opposition systématique entre la Nation et l’Europe.
Je suis un Euroréaliste, pas un Eurosceptique. Je ne suis pas du tout contre l’Europe car à l’échelle du siècle à venir, nous avons besoin d’une Europe à géométrie variable, reposant sur la volonté des peuples et qui nous permette de tenir la dragée haute aux Etats-Unis et à la Chine, dont la puissance montante est le grand facteur explicatif de tout ce qui change aujourd’hui dans le monde.
Nous sortons d’une longue séquence politique marquée par les manifestations des Gilets jaunes, dont les revendications sociales et fiscales sont audibles. Mais il y a eu des dérapages : l’attaque d’un temple maçonnique à Tarbes, les injures à l’encontre d’Alain Finkielkraut… Vous attendiez-vous à ce que cette violence populiste surgisse si vite des rangs des Gilets jaunes ?
Il y a une violence en France qui me frappe depuis plusieurs années, bien avant les Gilets jaunes. On l’a vue s’exprimer à Notre-Dame-des-Landes avec les Zadistes par exemple, ou contre des policiers et des pompiers quand ils s’aventurent dans des zones que l’on considère comme interdites car il y a des dealers qui tiennent leur terrain. Le mépris de l’ordre public me choque depuis longtemps. Il fallait certainement réagir, mais je veux distinguer de cette violence le mouvement des Gilets jaunes, car il correspond à une réelle paupérisation des classes moyennes. Ce ne sont pas des extraterrestres mais des citoyens français. Je réprouve pour autant fondamentalement toute violence, en particulier la violence antisémite qui s’est exercée contre Alain Finkielkraut dans des conditions absolument insupportables. Celui qui s’est exprimé à son encontre lui a dit « les salafistes sont chez eux en France » ! Ce n’est pas l’expression des Gilets jaunes mais l’expression de ce que Pierre-André Taguieff appelait autrefois une certaine forme de judéophobie corrélée aux problèmes du Proche et du Moyen Orient. C’est quelque chose de nouveau par rapport à l’antisémitisme traditionnel.
Vous parlez de la nouvelle judéophobie. Certains parlementaires ont proposé au Président de la République de pénaliser l’expression de l’antisionisme.
Je me méfie de tout ce qui peut conduire à des surenchères que l’on ne pourrait plus maîtriser. L’antisionisme n’a plus de sens aujourd’hui : Israël existe, personne ne remet en cause son existence. Il faut le dire à une certaine partie de l’extrême gauche qui dérape, et il faut résoudre les problèmes du Proche Orient qui se posent depuis trop longtemps et qui contribuent à une dégradation générale de l’atmosphère et de l’environnement géostratégique dans lequel nous nous situons. Mais je ne suis pas partisan d’une pénalisation au-delà de ce qui existe déjà et qui permet même de sanctionner le type d’injures dont nous parlons.
Au dîner du CRIF, le Président de la République a dit vouloir s’inspirer des Allemands, qui ont déjà mis en œuvre une pénalisation systématique des plateformes qui relaient des contenus antisémites et antisionistes.
Ce qu’a dit le Président de la République au dîner du CRIF m’a paru tout à fait censé. Il a bien pointé l’islamisme radical, car il ne faut pas confondre l’islamisme radical et l’islam, sinon on déclare la guerre à un milliard et demi d’humains. Ce ne serait pas très intelligent, mais en outre ça serait injuste historiquement. La Fondation de l’Islam de France co-finance avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah une étude sur les rapports entre juifs et musulmans au long des siècles : on s’aperçoit qu’ils ont été beaucoup moins violents que les rapports entre juifs et chrétiens. La convivance entre juifs et musulmans n’a pas d’égal avec le monde chrétien, que ce soit dans le Royaume de Cordoue, dans l’Empire ottoman ou en Babylonie. Il y a eu jusqu’au 20è siècle une relative harmonie entre juifs et musulmans. Tout cela mérite d’être connu.
En parlez-vous parfois avec votre épouse, qui est juive ?
Oui, mon épouse est juive mais elle est laïque aussi, comme moi. Elle déplore comme moi cette violence, cette intolérance, qui font partie d’une crise du civisme beaucoup plus profonde. Les français aujourd’hui s’écoutent moins bien entre eux, ils sons moins tolérants. C’est lié à la crise de la démocratie française. Il faut réfléchir à la manière d’enrayer tout cela.
Y a-t-il aujourd’hui en Israël, alors qu’approchent des élections législatives importantes le 9 avril prochain, une crise du civisme ?
Il y a la question de la conception de la Nation qu’ont les Israéliens. La notion d’une communauté de citoyens est un enjeu majeur car il y a quand même 20% d’Arabes israéliens et il serait dangereux d’en faire des sous-citoyens. C’est la capacité pour Israël de comporter des minorités.
Vous parlez d’une crise du civisme et vous rappelez qu’il n’y a pas de République qui dure sans républicains. La France forge-t-elle encore des républicains ?
Vous mettez le doigt sur le point essentiel : forme-t-on encore un peuple de citoyens ? Prend-on les moyens de former des citoyens ? Le rôle de l’école est fondamental et je vois d’un œil favorable ce qu’entreprend Jean-Michel Blanquer. Il a des vues claires, il est le ministre de l’Éducation nationale dont nous avons manqué très longtemps.
Sources : Judaïques FM
C’est une méconnaissance de ce que stipulent les Traités. Nous faisons beaucoup d’efforts pour nous rapprocher de l’Allemagne – Traité d’Aix-la-Chapelle, le projet de statut pour la collectivité dite européenne d’Alsace, alors qu’il n’y a pas de Land européen de Bade Wurtemberg ou de Sarre… – et en échange, il n’y a pas de réciprocité. Ce n’est pas bon. L’Europe doit tenir sur un équilibre franco-allemand, c’est-à-dire l’engagement que le Chancelier Adenauer avait pris vis-à-vis de Jean Monnet en 1950. Il sera difficile de faire bouger l’Allemagne.
Que pensez-vous du concept de « souveraineté européenne » ?
J’aimerais que l’on s’entende sur les mots : qui dit « souveraineté » dit « souveraineté populaire ». Or il n’y a pas de peuple européen, comme le souligne le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, autorité pour l’interprétation des textes et des traités. Cela dit, si l’on veut dire par là que l’on doit aller vers une Europe européenne, c’est-à-dire une entité stratégique ayant la possibilité d’intervenir dans la vie internationale, entre les Etats-Unis et la Chine, qui vont structurer le XXIè siècle, c’est une bonne idée. L’Europe européenne oui, la « souveraineté européenne », je suis beaucoup plus réservé : cela introduit qu’il pourrait y avoir une sorte de supra ou de post nationalisme, que l’on pourrait construire l’Europe en dehors des peuples, non démocratique.
Votre prochain colloque sur « la souveraineté européenne », le 16 avril prochain, développera ces idées ?
Res Publica est une fondation de recherche, d’intérêt public. Il y a aura donc différentes idées qui s’exprimeront sur ce sujet. C’est un sujet ouvert, nous donnons toujours la parole à l’une et l’autre thèse.
Tournons-nous vers l’Italie, gouvernée par une coalition des populistes de droite et de gauche pour faire vite, c’est-à-dire la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. On sait qu’ils sont dans le viseur du pouvoir français, mais il y a dans la tribune d’AKK une pique voilée contre Emmanuel Macron, à qui elle reproche de surjouer l’opposition des progressistes et des populistes. Partagez-vous cette grille d’analyse progressistes versus populistes ?
Le Président Macron a introduit une modulation dans cette opposition un peu clivante qui ne rend pas compte de toutes les différences qui existent entre les pays européens. Par exemple, on ne peut pas assimiler le PiS polonais à la Ligue italienne, de même le Mouvement 5 étoiles n’est par le RN mais peut-être un mixte de la FI et d’Europe Écologie-les Verts, au sens où il y a quelque chose qui fait appel à la démocratie directe, un côté Gilets jaunes. Quant au viseur du président Macron, c’est quand même Monsieur Di Maio qui est venu en France pour rencontrer les Gilets jaunes... Mais il vaut mieux ne pas trop faire monter la mayonnaise. Les Italiens sont très proches des Français, il faut chercher à dissiper les malentendus.
Dans Passion de la France, vous saluez la Virtù d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire son courage, sa chance, son audace. Quelle est cette audace dans sa posture européenne ?
Il a fallu à Emmanuel Macron beaucoup de détermination d’abord pour créer son mouvement, être candidat, puis l’emporter en faisant turbuler le système. Il a mené à bien cette affaire mais il l’a fait au nom d’un mot d’ordre, « en même temps de droite et de gauche », qui ne permet pas le dépassement. Les Français se sont peu à peu détournés des deux partis devenus quasi interchangeables puisqu’ils suivaient la même politique. On voit la montée de l’abstention, des partis extrêmes, et les partis dits de gouvernement en 2017 n’emportent plus que le quart de l’électorat. C’est très peu. Emmanuel Macron a eu cette idée que l’on pouvait faire turbuler le système, mais selon moi la République est « au-dessus » de la droite et de la gauche. Il ne s’agit pas de faire un compromis entre les deux.
Dans Passion de la France, vous proposez au Président de la République un autre « en même temps » : trouver les moyens de renforcer la Nation française et construire véritablement l’Europe politique. Pour beaucoup, ça n’est pas compatible.
Il ne faut pas opposer la Nation à l’Europe. Il faut concevoir l’Europe dans le prolongement des Nations. L’opposition entre nationalistes et européistes n’a pas de sens : il faut concevoir une Europe qui s’appuie sur la démocratie qui vit dans les Nations, car le sentiment d’appartenance est d’abord national et non européen. Or le sentiment d’appartenance fonde la démocratie.
Cela vous distingue très nettement dans la famille souverainiste, d’un Nicolas Dupont-Aignan par exemple, qui serait plutôt sur une opposition systématique entre la Nation et l’Europe.
Je suis un Euroréaliste, pas un Eurosceptique. Je ne suis pas du tout contre l’Europe car à l’échelle du siècle à venir, nous avons besoin d’une Europe à géométrie variable, reposant sur la volonté des peuples et qui nous permette de tenir la dragée haute aux Etats-Unis et à la Chine, dont la puissance montante est le grand facteur explicatif de tout ce qui change aujourd’hui dans le monde.
Nous sortons d’une longue séquence politique marquée par les manifestations des Gilets jaunes, dont les revendications sociales et fiscales sont audibles. Mais il y a eu des dérapages : l’attaque d’un temple maçonnique à Tarbes, les injures à l’encontre d’Alain Finkielkraut… Vous attendiez-vous à ce que cette violence populiste surgisse si vite des rangs des Gilets jaunes ?
Il y a une violence en France qui me frappe depuis plusieurs années, bien avant les Gilets jaunes. On l’a vue s’exprimer à Notre-Dame-des-Landes avec les Zadistes par exemple, ou contre des policiers et des pompiers quand ils s’aventurent dans des zones que l’on considère comme interdites car il y a des dealers qui tiennent leur terrain. Le mépris de l’ordre public me choque depuis longtemps. Il fallait certainement réagir, mais je veux distinguer de cette violence le mouvement des Gilets jaunes, car il correspond à une réelle paupérisation des classes moyennes. Ce ne sont pas des extraterrestres mais des citoyens français. Je réprouve pour autant fondamentalement toute violence, en particulier la violence antisémite qui s’est exercée contre Alain Finkielkraut dans des conditions absolument insupportables. Celui qui s’est exprimé à son encontre lui a dit « les salafistes sont chez eux en France » ! Ce n’est pas l’expression des Gilets jaunes mais l’expression de ce que Pierre-André Taguieff appelait autrefois une certaine forme de judéophobie corrélée aux problèmes du Proche et du Moyen Orient. C’est quelque chose de nouveau par rapport à l’antisémitisme traditionnel.
Vous parlez de la nouvelle judéophobie. Certains parlementaires ont proposé au Président de la République de pénaliser l’expression de l’antisionisme.
Je me méfie de tout ce qui peut conduire à des surenchères que l’on ne pourrait plus maîtriser. L’antisionisme n’a plus de sens aujourd’hui : Israël existe, personne ne remet en cause son existence. Il faut le dire à une certaine partie de l’extrême gauche qui dérape, et il faut résoudre les problèmes du Proche Orient qui se posent depuis trop longtemps et qui contribuent à une dégradation générale de l’atmosphère et de l’environnement géostratégique dans lequel nous nous situons. Mais je ne suis pas partisan d’une pénalisation au-delà de ce qui existe déjà et qui permet même de sanctionner le type d’injures dont nous parlons.
Au dîner du CRIF, le Président de la République a dit vouloir s’inspirer des Allemands, qui ont déjà mis en œuvre une pénalisation systématique des plateformes qui relaient des contenus antisémites et antisionistes.
Ce qu’a dit le Président de la République au dîner du CRIF m’a paru tout à fait censé. Il a bien pointé l’islamisme radical, car il ne faut pas confondre l’islamisme radical et l’islam, sinon on déclare la guerre à un milliard et demi d’humains. Ce ne serait pas très intelligent, mais en outre ça serait injuste historiquement. La Fondation de l’Islam de France co-finance avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah une étude sur les rapports entre juifs et musulmans au long des siècles : on s’aperçoit qu’ils ont été beaucoup moins violents que les rapports entre juifs et chrétiens. La convivance entre juifs et musulmans n’a pas d’égal avec le monde chrétien, que ce soit dans le Royaume de Cordoue, dans l’Empire ottoman ou en Babylonie. Il y a eu jusqu’au 20è siècle une relative harmonie entre juifs et musulmans. Tout cela mérite d’être connu.
En parlez-vous parfois avec votre épouse, qui est juive ?
Oui, mon épouse est juive mais elle est laïque aussi, comme moi. Elle déplore comme moi cette violence, cette intolérance, qui font partie d’une crise du civisme beaucoup plus profonde. Les français aujourd’hui s’écoutent moins bien entre eux, ils sons moins tolérants. C’est lié à la crise de la démocratie française. Il faut réfléchir à la manière d’enrayer tout cela.
Y a-t-il aujourd’hui en Israël, alors qu’approchent des élections législatives importantes le 9 avril prochain, une crise du civisme ?
Il y a la question de la conception de la Nation qu’ont les Israéliens. La notion d’une communauté de citoyens est un enjeu majeur car il y a quand même 20% d’Arabes israéliens et il serait dangereux d’en faire des sous-citoyens. C’est la capacité pour Israël de comporter des minorités.
Vous parlez d’une crise du civisme et vous rappelez qu’il n’y a pas de République qui dure sans républicains. La France forge-t-elle encore des républicains ?
Vous mettez le doigt sur le point essentiel : forme-t-on encore un peuple de citoyens ? Prend-on les moyens de former des citoyens ? Le rôle de l’école est fondamental et je vois d’un œil favorable ce qu’entreprend Jean-Michel Blanquer. Il a des vues claires, il est le ministre de l’Éducation nationale dont nous avons manqué très longtemps.
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