Verbatim
- Vous publiez chez Robert Laffont, collection Bouquins, Passion de la France, des moments de toute votre expression publique tout au long d'un demi-siècle de vie politique. Aujourd’hui, on a l’impression que vous avez de la sympathie pour Emmanuel Macron. Faites-vous partie des 36% de Français qui se déclarent satisfaits de son action ?
Je n’ai pas l’habitude de me ranger dans les catégories toutes faites, mais je considère qu’Emmanuel Macron est le président de la République, qu’il a été élu pour 5 ans et qu’il doit donc aller au terme de son mandat. A charge pour lui de trouver une issue satisfaisante à la crise actuelle. C'est une crise qui vient de loin, qu'on ne peut certainement pas imputer uniquement à Emmanuel Macron. Elle a ses racines, je le montre dans ce livre, dans les années 1980, dans les choix erronés qui ont été faits à cette époque-là : l'ouverture sans précaution du néo-libéralisme, de la désindustrialisation, de la paupérisation des classes moyennes et notamment des gens qui ont de la peine à joindre les deux bouts.
- Emmanuel Macron est à la fois libéral et europhile, ce qui n'est pas votre cas. Qu'aimez-vous le plus chez lui finalement ? Son tempérament ? Ses idées ?
C'est un homme intelligent qui est capable de rectifier ses erreurs. C'est sa principale qualité. Il faut qu'il trouve une issue démocratique et je préférerais un référendum à questions multiples sur, par exemple, la remise en cause du quinquennat, qui contribue à rigidifier excessivement notre démocratie. Je n'étais pas contre, mais à l'usage – et il faut tenir compte de l'expérience – c'est catastrophique, on l'a vu avec le quinquennat de Jacques Chirac, celui de Nicolas Sarkozy, de François Hollande et maintenant d'Emmanuel Macron.
- Vous repasseriez au septennat ?
Il y a deux possibilités à mon avis : soit 7 ans pour le président de la République, qui est le gardien du long terme, et 5 ans pour les députés. Ou alors le sexennat pour le président et on raccourcit à 4 ans la durée du mandat des parlementaires ; c'est un peu court mais cela correspond à un besoin d'expression.
- Cela risquerait de conduire à des situations de cohabitation, comme celles qu'on a connues sous Mitterrand ou sous Chirac. Avec qui Emmanuel Macron pourrait-il cohabiter ?
La cohabitation avait des inconvénients mais aussi des avantages. L'inconvénient du quinquennat est cette rigidification de la vie politique qui fait qu'il n'y a qu'une élection véritable, c'est l'élection du président. Le député n'est finalement que le moyen qu'on donne au président de faire sa politique et ça, ça a beaucoup d'inconvénients.
- Vous verriez donc plutôt un gouvernement d'union nationale ?
Je souhaite un gouvernement de Salut public pour changer de politique car celle que nous avons suivie ne donne pas de bons résultats. Je regarde la désindustrialisation de la France et je me dis qu'il est temps de remonter le courant : il faut donner à notre pays les moyens d'affronter les vrais problèmes. J'ai fait, en 50 ans de vie politique, un certain nombre de choix, je crois même avoir proposé beaucoup de choses. Ceux qui voudront picorer à travers cet ouvrage pourront s'en rendre compte.
- Avant la présidentielle de 2017, vous reconnaissiez avoir de la sympathie pour Jean-Luc Mélenchon. Que pensez-vous du soutien sans faille qu'il apporte aux Gilets jaunes ?
Je ne me suis pas prononcé sur untel ou untel, ni sur Jean-Luc Mélenchon. Quant au soutien aux Gilets jaunes, il ne peut être aveugle car ils sont parasités par des groupes de casseurs, d'extrémistes qui se greffent sur le mouvement et se comportent d'une manière inadmissible. Ce qui me frappe, c'est le déclin du civisme dans notre pays : on n'est plus d'accord sur un certain nombre de règles qui permettent de débattre ensemble.
- Jean-Luc Mélenchon, lui, dénonce les violences policières contre les Gilets jaunes. Il réclame la démission de Christophe Castaner. Vous qui avez été ministre de l'Intérieur, trouvez-vous que c'est justifié ?
Le ministre de l'Intérieur fait un métier difficile. Si on enlève telle arme aux policiers, qui doivent pouvoir se défendre, par quoi la remplacer ? Et comment s'adapter à des formes de manifestation qu'on avait jamais vues, qui sont une innovation ? Il faut juger tout cela avec précaution.
- Après 3 mois de manifestations qui dégénèrent régulièrement, que doit faire le ministre de l'Intérieur pour mettre un terme à la violence ?
Il doit s'adapter à ces formes de manifestation. Je suis convaincu qu'on devrait d'abord s'en prendre à ces black blocs, ces extrémistes qui se greffent sur le mouvement. Je pense que les Gilets jaunes sont bien conscients du tort qu'ils se font et de la dérive possible qu'ils créent vers l'extrême droite. Tout cela n'est pas sain. Il faut que les Français se mettent d'accord sur un certain nombre de fondamentaux républicains. Il faut revenir à la République, refaire un peuple, refaire des citoyens !
- A eux deux, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont réuni 40% des voix aux dernières élections présidentielles et pourtant, la France insoumise et le Rassemblement national ne représentent que 4% des députés. C'est parce que l'opposition est mal représentée à l'Assemblée nationale qu'elle s'exprime dans la rue ?
Je ne pense pas, encore que... La réforme qui consisterait à introduire un élément de proportionnelle à hauteur de 15% environ dans la représentation parlementaire paraît aller dans le bon sens : le sens d'une meilleure expression. Mais n'en attendons pas non plus des miracles, il faut garder un principe majoritaire.
- Dans ce climat de violences, une série de graffitis antisémites ont été tracés sur les murs de Paris, des croix gammés sur les portraits de Simone Veil... Les actes antisémites ont augmenté de 74% en 2018. Emmanuel Macron a-t-il raison de comparer notre époque à celle des années 1930 ?
Ces signes sont évidemment très inquiétants. L'antisémitisme est un baromètre de la société : il nous indique qu'il y a un glissement vers l'extrême-droite. Cela dit, je ne comparerais pas la situation actuelle à celle des années 1930 : je la comparerais plutôt à celle qui a précédé la Première Guerre mondiale. Il y avait deux puissances dominantes, l'Empire britannique et l'Empire allemand, qui fourbissait ses armements navals, et c'est une cause profonde de cette guerre mondiale.
- Dans les années 1930, tous les pays européens sont en crise...
Mais nous avons quand même une opposition fondamentale entre les Etats-Unis et la Chine. C'est cette opposition qui structure le siècle à venir ; on peut le regretter, mais l'Europe rétrécit à vue d’œil. Toutes les nations européennes sont en effet en crise, il n'y a pas un seul pays qui y échappe, même l'Allemagne.
- Dans ce contexte-là, Emmanuel Macron reste le meilleur de la classe politique à vos yeux ?
Il est élu président de la République, il doit être respecté. Je n'accepte pas les manifestations de haine totalement irrationnelles qu'il suscite. Il peut avoir des défauts, on peut ne pas l'aimer, mais on doit respecter le premier citoyen de la République.
Source : L'interview politique d'Audrey Crespo-Mara - Europe 1