Le JDD : L’Europe apparaît impuissante devant l’afflux massif de migrants. Un afflux qu’elle n’a pas su prévoir...
Jean-Pierre Chevènement : Et pourtant rien n’était plus prévisible ! Il suffit de connaître les écarts en matière de richesses et surtout de démographie. Encore n’eût-il pas fallu créer le désordre dans la plupart des pays-sources. Je m’explique : de quel pays viennent principalement ces migrants ? Dans l’ordre : d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan. Trois pays où des interventions occidentales inconsidérées ont jeté bas des Etats qui maintenaient un ordre peut-être contestable, en tout cas un ordre. Exemple le plus impressionnant : l’Irak. Aujourd’hui, plus d’Etat, ni d’armée et de police dignes de ce nom. A la place : des démembrements confessionnels affrontés l’un à l’autre. L’Irak occidental peuplé de sunnites a été, en 2005-2006, jeté dans les bras d’Al-Qaïda et aujourd’hui dans ceux de Daech. Ce n’est pas tout : j’observe aussi qu’il y a beaucoup de demandes d’asile venant du Kosovo, de Serbie, d’Albanie. Au Kosovo, l’intervention de l’Otan a eu pour résultat de faire surgir un Etat semi-maffieux.
Vous ne citez pas la Lybie…
J’y venais. La Lybie faisait office de filtre pour les migrants venus de l’Afrique sub-saharienne. L’intervention en Lybie n’a donc pas été heureuse : elle a fait de la Lybie un espace dominé par des milices tribales. Tout le Sahel a été déstabilisé par l’afflux d’armes libyennes et de milices khadafistes.
Quelles leçons en tirez-vous ?
D’abord, que l’Occident serait bien inspiré d’observer le principe de non-ingérence, qui figure d’ailleurs dans la charte de l’Onu. L’utilisation de la force peut être justifiée – c’était le cas pour l’opération Serval au Mali - mais sous strict contrôle de l’Onu. Seconde leçon : il faut distinguer en matière d’immigration les demandeurs d’asile –qui ont droit au statut de « combattants de la liberté »- et l’immigration économique qui peut d’ailleurs être, elle aussi, dans certains cas, justifiée. Voyez le nombre de professions dont les Français ne veulent pas et qui sont exercées par des immigrés ! Cela étant, tout pays est libre d’accorder ou de refuser à des étrangers le droit de s’installer sur son territoire. A l’avenir le co-développement avec les pays-sources est la seule solution au problème de l’immigration.
Jean-Pierre Chevènement : Et pourtant rien n’était plus prévisible ! Il suffit de connaître les écarts en matière de richesses et surtout de démographie. Encore n’eût-il pas fallu créer le désordre dans la plupart des pays-sources. Je m’explique : de quel pays viennent principalement ces migrants ? Dans l’ordre : d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan. Trois pays où des interventions occidentales inconsidérées ont jeté bas des Etats qui maintenaient un ordre peut-être contestable, en tout cas un ordre. Exemple le plus impressionnant : l’Irak. Aujourd’hui, plus d’Etat, ni d’armée et de police dignes de ce nom. A la place : des démembrements confessionnels affrontés l’un à l’autre. L’Irak occidental peuplé de sunnites a été, en 2005-2006, jeté dans les bras d’Al-Qaïda et aujourd’hui dans ceux de Daech. Ce n’est pas tout : j’observe aussi qu’il y a beaucoup de demandes d’asile venant du Kosovo, de Serbie, d’Albanie. Au Kosovo, l’intervention de l’Otan a eu pour résultat de faire surgir un Etat semi-maffieux.
Vous ne citez pas la Lybie…
J’y venais. La Lybie faisait office de filtre pour les migrants venus de l’Afrique sub-saharienne. L’intervention en Lybie n’a donc pas été heureuse : elle a fait de la Lybie un espace dominé par des milices tribales. Tout le Sahel a été déstabilisé par l’afflux d’armes libyennes et de milices khadafistes.
Quelles leçons en tirez-vous ?
D’abord, que l’Occident serait bien inspiré d’observer le principe de non-ingérence, qui figure d’ailleurs dans la charte de l’Onu. L’utilisation de la force peut être justifiée – c’était le cas pour l’opération Serval au Mali - mais sous strict contrôle de l’Onu. Seconde leçon : il faut distinguer en matière d’immigration les demandeurs d’asile –qui ont droit au statut de « combattants de la liberté »- et l’immigration économique qui peut d’ailleurs être, elle aussi, dans certains cas, justifiée. Voyez le nombre de professions dont les Français ne veulent pas et qui sont exercées par des immigrés ! Cela étant, tout pays est libre d’accorder ou de refuser à des étrangers le droit de s’installer sur son territoire. A l’avenir le co-développement avec les pays-sources est la seule solution au problème de l’immigration.
Mais comment faire face à l’afflux actuel, incontrôlé, des migrants ?
D’abord éteindre les conflits qui nourrissent cette immigration. Espérons que l’accord avec l’Iran y contribuera. En tout cas, je ne suis pas partisan de donner à la Commission européenne le droit de répartir les migrants par quotas. Il faut une répartition négociée entre les Etats, en fonction des paramètres qui leur sont propres (chômage, démographie, etc.) et des reconduites à la frontière. De façon humaine, cela va de soi.
Le rôle de l’Iran est-il amené à s’amplifier ?
Je vais me rendre en Iran dans la deuxième quinzaine de septembre à l’invitation des autorités de Téhéran. La prépondérance de l’Iran est le résultat des deux guerres du Golfe. Le réalisme nous commande de travailler aujourd’hui avec les forces qui existent pour favoriser la solution des conflits en Syrie, au Yémen, en en Irak. Ainsi faut-il souhaiter l’avènement –puisqu’on a brisé hier l’échine d’un Etat laïc- un Irak rééquilibré, donc fédéral, où les ressources pétrolières soient équitablement réparties entre régions sunnites, chiites et kurdes. En tout cas, on aurait évité beaucoup d’erreurs si on s’était intéressé réellement au monde arabe, au monde perse, si on avait eu le sens de l’Histoire !
La progression du terrorisme inquiète-t-elle l’ancien ministre de l’Intérieur que vous êtes ?
Le terrorisme est un phénomène qui est devant nous. Il va malheureusement falloir s’en accommoder. La solution passe à la fois par la résolution des conflits qui se multiplient dans le monde arabo-musulman et par l’apaisement des tensions qui traversent la société française. Dans l’immédiat, la réponse est évidement dans la répression d’activités auxquelles il ne faut pas chercher d’excuses. C’est une menace diffuse. La société française doit donc être préparée à ce combat contre le terrorisme. Et d’abord, au niveau de tous les responsables, par une attitude de sang-froid. L’erreur à ne pas commettre est de répondre à la menace terroriste par la stigmatisation des musulmans. Et ce que je dis n’est pas théorique quand on observe que la mosquée d’Auch vient d’être incendiée par des criminels. Si on rentre dans le schéma bien connu de la « guerre des civilisations », on fait le jeu de Daesh : dresser l’Islam sous son drapeau contre l’Occident. J’ajoute que les musulmans ont été ou sont –en Algérie, en Irak, en Syrie, au Pakistan, en Afghanistan- les premières victimes du terrorisme djihadiste. A terme, il faut compter sur les pays musulmans pour séparer le bon grain de l’ivraie et juguler le terrorisme djihadiste. Dans l’immédiat, notre objectif doit être de développer nos capacités d’auto-défense : je préconise la création d’une Garde nationale armée qui serait composée soit de volontaires, soit d’appelés dans le cadre d’un service national court.
Que pourriez-vous dire aux socialistes réunis à La Rochelle ?
Je m’adresserais à eux de manière amicale. Et je leur dirais ceci : il arrive dans la vie qu’on se trompe de bonne foi. Alors, il faut se corriger. La monnaie unique a été un mauvais choix. Car elle juxtapose des nations trop différentes. Mieux vaut ne pas faire faire de la monnaie unique une religion. Substituons-lui demain une forme de monnaie commune pour les échanges internationaux avec des monnaies nationales internes qui permettraient à chacun de regagner son niveau de compétitivité initial. Car la grande question est, pour nous Français, la suivante : comment la France peut-elle retrouver sur l’Allemagne les 15 points de compétitivité qu’elle a perdus depuis 2003 ? Evitons que par le biais de la dette, la France soit mise sous tutelle comme hier la Grèce. Je ne suis donc pas partisan d’un surcroît d’intégration comme le propose François Hollande. L’Europe a besoin, au contraire, de davantage de souplesse, de davantage de flexibilité. En clair, il faut restaurer une certaine liberté nationale. La France donne trop le sentiment aujourd’hui d’être prise en otage.
Quelles relations la France doit-elle entretenir, selon vous, avec la Russie ?
Toute l’Histoire a montré la nécessité d’une relation forte entre la France et la Russie. La crise ukrainienne était parfaitement évitable. A condition de ne pas imposer à l’Ukraine un choix impossible entre l’Europe et la Russie. On ne doit pas construire l’Ukraine, et l’Europe à sa suite contre la Russie : c’est une hérésie.
Vous, auriez-vous livré les Mistral à Moscou ?
J’ai été de ceux qui préconisaient le respect pur et simple des contrats signés. Paris et Moscou doivent agir aujourd’hui ensemble pour sortir du bourbier des sanctions qui nous pénalisent autant que la Russie. Je fais encore une fois confiance pour cela à la sagesse et à la détermination du président Hollande. Une certitude : la France ne peut pas être l’otage des boute-feux qui défendent des intérêts qui ne sont pas les siens. Le bon objectif : appliquer enfin les accords de Minsk qui prévoient une réforme constitutionnelle en Ukraine et des élections régionales permettant une raisonnable décentralisation. Alors les sanctions pourront être levées. Il y a assez de conflits au Sud pour que nous n’en allumions pas de nouveaux à l’Est !
La crise familiale qui secoue le FN vous surprend-elle ?
C’est un fait : la petite entreprise familiale est en crise. Il nous faudra ramener l’électorat du FN à la République. Encore faudra-t-il pour cela que les forces républicaines offrent autre chose que la perspective d’une récession à perpétuité. Oui, la France a de la ressource. Oui, cet électorat FN doit être regagné. Pour autant, je veux être clair : je ne pense pas qu’on puisse supprimer le cordon sanitaire qui écarte les responsables du FN de l’espace politique républicain. En revanche, nous devons œuvrer à un changement de logiciel, à droite comme à gauche, à l’horizon 2017. Je ne pense pas qu’on puisse sortir la France de l’ornière si on ne rassemble pas les républicains des deux rives.
Quel rôle souhaitez-vous jouer, vous ?
Je songe à mes parents qui étaient tous deux instituteurs. Je souhaite être l’instituteur d’une gauche républicaine et d’une République refondée, accueillante aux républicains des deux rives.
Votre première démarche ?
Sous l’égide de République moderne, le club que j’ai créé en 1983, une première rencontre –qui sera suivie de trois autres- sera organisée à l’Assemblée Nationale le 26 septembre sur un premier thème : « Europe et souveraineté ». Le but est d’offrir à la France une alternative républicaine. Chacun exprimera son approche : grandes figures de la pensée contemporaine comme Régis Debray, Michel Onfray, Alain Supiot, professeur au Collège de France, mais aussi des responsables politiques qui incarnent la recherche de cette alternative, comme Arnaud Montebourg, Jacques Mézard, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Didier Boulaud. Le débat de fond seul fera bouger les lignes.
Sinon ?
Sinon, le pire serait à craindre.
D’abord éteindre les conflits qui nourrissent cette immigration. Espérons que l’accord avec l’Iran y contribuera. En tout cas, je ne suis pas partisan de donner à la Commission européenne le droit de répartir les migrants par quotas. Il faut une répartition négociée entre les Etats, en fonction des paramètres qui leur sont propres (chômage, démographie, etc.) et des reconduites à la frontière. De façon humaine, cela va de soi.
Le rôle de l’Iran est-il amené à s’amplifier ?
Je vais me rendre en Iran dans la deuxième quinzaine de septembre à l’invitation des autorités de Téhéran. La prépondérance de l’Iran est le résultat des deux guerres du Golfe. Le réalisme nous commande de travailler aujourd’hui avec les forces qui existent pour favoriser la solution des conflits en Syrie, au Yémen, en en Irak. Ainsi faut-il souhaiter l’avènement –puisqu’on a brisé hier l’échine d’un Etat laïc- un Irak rééquilibré, donc fédéral, où les ressources pétrolières soient équitablement réparties entre régions sunnites, chiites et kurdes. En tout cas, on aurait évité beaucoup d’erreurs si on s’était intéressé réellement au monde arabe, au monde perse, si on avait eu le sens de l’Histoire !
La progression du terrorisme inquiète-t-elle l’ancien ministre de l’Intérieur que vous êtes ?
Le terrorisme est un phénomène qui est devant nous. Il va malheureusement falloir s’en accommoder. La solution passe à la fois par la résolution des conflits qui se multiplient dans le monde arabo-musulman et par l’apaisement des tensions qui traversent la société française. Dans l’immédiat, la réponse est évidement dans la répression d’activités auxquelles il ne faut pas chercher d’excuses. C’est une menace diffuse. La société française doit donc être préparée à ce combat contre le terrorisme. Et d’abord, au niveau de tous les responsables, par une attitude de sang-froid. L’erreur à ne pas commettre est de répondre à la menace terroriste par la stigmatisation des musulmans. Et ce que je dis n’est pas théorique quand on observe que la mosquée d’Auch vient d’être incendiée par des criminels. Si on rentre dans le schéma bien connu de la « guerre des civilisations », on fait le jeu de Daesh : dresser l’Islam sous son drapeau contre l’Occident. J’ajoute que les musulmans ont été ou sont –en Algérie, en Irak, en Syrie, au Pakistan, en Afghanistan- les premières victimes du terrorisme djihadiste. A terme, il faut compter sur les pays musulmans pour séparer le bon grain de l’ivraie et juguler le terrorisme djihadiste. Dans l’immédiat, notre objectif doit être de développer nos capacités d’auto-défense : je préconise la création d’une Garde nationale armée qui serait composée soit de volontaires, soit d’appelés dans le cadre d’un service national court.
Que pourriez-vous dire aux socialistes réunis à La Rochelle ?
Je m’adresserais à eux de manière amicale. Et je leur dirais ceci : il arrive dans la vie qu’on se trompe de bonne foi. Alors, il faut se corriger. La monnaie unique a été un mauvais choix. Car elle juxtapose des nations trop différentes. Mieux vaut ne pas faire faire de la monnaie unique une religion. Substituons-lui demain une forme de monnaie commune pour les échanges internationaux avec des monnaies nationales internes qui permettraient à chacun de regagner son niveau de compétitivité initial. Car la grande question est, pour nous Français, la suivante : comment la France peut-elle retrouver sur l’Allemagne les 15 points de compétitivité qu’elle a perdus depuis 2003 ? Evitons que par le biais de la dette, la France soit mise sous tutelle comme hier la Grèce. Je ne suis donc pas partisan d’un surcroît d’intégration comme le propose François Hollande. L’Europe a besoin, au contraire, de davantage de souplesse, de davantage de flexibilité. En clair, il faut restaurer une certaine liberté nationale. La France donne trop le sentiment aujourd’hui d’être prise en otage.
Quelles relations la France doit-elle entretenir, selon vous, avec la Russie ?
Toute l’Histoire a montré la nécessité d’une relation forte entre la France et la Russie. La crise ukrainienne était parfaitement évitable. A condition de ne pas imposer à l’Ukraine un choix impossible entre l’Europe et la Russie. On ne doit pas construire l’Ukraine, et l’Europe à sa suite contre la Russie : c’est une hérésie.
Vous, auriez-vous livré les Mistral à Moscou ?
J’ai été de ceux qui préconisaient le respect pur et simple des contrats signés. Paris et Moscou doivent agir aujourd’hui ensemble pour sortir du bourbier des sanctions qui nous pénalisent autant que la Russie. Je fais encore une fois confiance pour cela à la sagesse et à la détermination du président Hollande. Une certitude : la France ne peut pas être l’otage des boute-feux qui défendent des intérêts qui ne sont pas les siens. Le bon objectif : appliquer enfin les accords de Minsk qui prévoient une réforme constitutionnelle en Ukraine et des élections régionales permettant une raisonnable décentralisation. Alors les sanctions pourront être levées. Il y a assez de conflits au Sud pour que nous n’en allumions pas de nouveaux à l’Est !
La crise familiale qui secoue le FN vous surprend-elle ?
C’est un fait : la petite entreprise familiale est en crise. Il nous faudra ramener l’électorat du FN à la République. Encore faudra-t-il pour cela que les forces républicaines offrent autre chose que la perspective d’une récession à perpétuité. Oui, la France a de la ressource. Oui, cet électorat FN doit être regagné. Pour autant, je veux être clair : je ne pense pas qu’on puisse supprimer le cordon sanitaire qui écarte les responsables du FN de l’espace politique républicain. En revanche, nous devons œuvrer à un changement de logiciel, à droite comme à gauche, à l’horizon 2017. Je ne pense pas qu’on puisse sortir la France de l’ornière si on ne rassemble pas les républicains des deux rives.
Quel rôle souhaitez-vous jouer, vous ?
Je songe à mes parents qui étaient tous deux instituteurs. Je souhaite être l’instituteur d’une gauche républicaine et d’une République refondée, accueillante aux républicains des deux rives.
Votre première démarche ?
Sous l’égide de République moderne, le club que j’ai créé en 1983, une première rencontre –qui sera suivie de trois autres- sera organisée à l’Assemblée Nationale le 26 septembre sur un premier thème : « Europe et souveraineté ». Le but est d’offrir à la France une alternative républicaine. Chacun exprimera son approche : grandes figures de la pensée contemporaine comme Régis Debray, Michel Onfray, Alain Supiot, professeur au Collège de France, mais aussi des responsables politiques qui incarnent la recherche de cette alternative, comme Arnaud Montebourg, Jacques Mézard, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Didier Boulaud. Le débat de fond seul fera bouger les lignes.
Sinon ?
Sinon, le pire serait à craindre.