Carnet de Jean-Pierre Chevènement

A la recherche du Peuple perdu



Olivier Ferrand et sa Fondation Terra Nova ont développé la thèse que la gauche pourrait devenir majoritaire en substituant à l'électorat populaire - ouvriers et employés de plus en plus tentés par la droite voire l'extrême droite, la collection des minorités, visibles ou non, des diplômés et des "jeunes". Olivier Ferrand n'a pas inventé l'eau chaude. En croyant découvrir Terre-Neuve, il cabote dans les eaux tièdes d'un social-libéralisme réchauffé.

Il y aura bientôt trente ans que la gauche française en 1983 a tourné le dos aux couches populaires et a cherché à substituer au social le "sociétal". SOS Racisme a symbolisé ce moment de l'ethnicisation de la question sociale. Rappelons que le premier succès du Front National eut lieu aux municipales de Dreux à l'automne 1983, et sa première victoire nationale aux élections européennes de juin 1984, un an après l'ouverture d'une parenthèse libérale qui ne s'est jamais refermée depuis.

Anthony Giddens et Tony Blair en Grande Bretagne ont théorisé cette "troisième voie" au tournant des années 2000. On voit où l'illusion de cette alliance de substitution a conduit la gauche européenne, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en France, en Italie et en Allemagne.

Est-ce parce que les couches populaires aspirent à la tranquillité publique, à un emploi correctement rémunéré, et à une raisonnable promotion sociale pour leurs enfants, dans une Europe qui les protégerait, qu'elles sont passées à l'extrême-droite ? Ou n'est-ce pas tout simplement parce que les partis socialistes ou sociaux-démocrates ne produisent plus une offre correspondant à ces aspirations ?

Les classes sociales n'ont pas disparu, elles se sont transformées. On les trouve dans les grandes périphéries urbaines, comme l'a montré Christophe Guilluy. Il serait temps que la gauche en retrouve la trace, et pour cela fasse bouger les lignes de son offre politique.

Sur la République, la France et l'Europe, il est temps que la gauche change son langage et retrouve le Peuple français.

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=> voir sur le sujet le séminaire de la Fondation Res Publica du 30 novembre 2009, "Que sont devenues les couches populaires?"


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Vendredi 13 Mai 2011 à 17:46 | Lu 4190 fois



1.Posté par J R le 14/05/2011 10:42
La politique n'est pas comparable à une économie de marché. Les partis ne sont pas des commerces devant s'inscrire dans une logique d'offre et de demande face à des électeurs réduits au rôle de simples consommateurs. Sinon François Mitterrand n'aurait jamais affirmé l'abolition de la peine de mort comme un point fort de son programme de 1981. Les sondages étaient favorables à son maintien. Et c'est paradoxalement grâce à cette proposition audacieuse et généreuse que Mitterrand a été élu.Parce qu'il a démontré qu'il avait une personnalité plus forte que le remugle sondagier.
En cela, je suis d'accord avec JPC pour que nos politiques s'inscrivent dans une réelle rencontre avec les aspirations d'un peuple qui veut une république forte avec des mesures sociales tournées vers l'avenir, le long terme et l'intérêt général. Nous devons retourner sur le terrain, écouter, entendre et rassembler ceux qui attendent de la politique autre chose que des discours creux et des attitudes bureaucratiques.
Enfin ... à mon avis.

2.Posté par Jacques POUZET le 14/05/2011 13:07
Peut-on être citoyen ( ce que je crois être) sans être "de gauche" ce que je ne pense pas être même quand j'ai voté "à gauche". Mes états d'âme n'ont évidemment aucun intérêt mais je partage très largement les analyses et positions de J P Chevènement , alors je suis où ? et avec qui ?

3.Posté par REP 5.2 le 16/05/2011 11:01
"A la recherche du peuple perdu", très belle expression. Elle semble issue d'un livre qui commence comme une aventure, mais dont les différents auteurs voudraient la voir finir en tragédie. Car qui est en train de l'écrire ? Le problème, c'est de savoir si celui qui commence la lecture de l'histoire est prêt à la finir, à aller au bout. Faut-il se réinventer ou se recréer ? Se dissoudre et se mépriser ? Notre "peuple" est une construction politique, qui aujourd'hui n'a plus vraiment de sens. Les citoyens-touristes-particularistes ne vivent plus dans la représentation commune de ce qui fait sens. Ils souhaitent des séparatismes de droit, des espaces différenciés pour des vies indépendantes. Beaucoup ont désappris à vivre ensemble... et cultivent leur vengeance en terre fertile (économiquement je veux dire). Nous sommes des errants, des orphelins d'une république méprisée dans les comportements.
La République est devenue celle des obsessions (consumériste, égalitaire, ethnique, religieuse, de vengeance post-coloniale et j'en passe). Elle souffre de tachycardie.
Son peuple a probablement échoué, quelque part, sur un rivage incertain ; il regarde de loin les murs des villes s'embraser et les populations se déchirer, et se demande ce qu'il va bien pouvoir faire, tandis que les forces frontistes avancent en tsunami.
Nous sommes à un tournant, mais la perte de notre sentiment commun, républicain, dont se gaussent tant d'électeurs, souligne la vacuité des notions politiques actuelles. La République va-t-elle disparaître, sous le règne des artifices...

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