Certains m’interrogent sur le dernier livre de Lionel Jospin qui n’est pas avare de méchancetés à mon égard. Faut-il même y répondre ? J’ai hésité. Mais comme dit le proverbe « Qui ne dit mot, consent ».
Ce qui m’a le plus intéressé, à vrai dire, dans ce livre c’est l’histoire des choix tactiques et des conflits d’appareil qu’il éclaire d’une vive lumière, s’agissant de l’histoire interne du Parti socialiste sur la période 1988-92 notamment. Ce qui me frappe le plus c’est l’absence de réflexion stratégique sur trente ans d’histoire de la gauche.
Dans ce livre il n’est presque jamais question de la France. Elle disparaît. Elle est comme happée par « l’Europe » que l’ancien Premier ministre a acceptée comme le choix directeur qui commandait tous les autres, même s’il confesse, au passage, « l’insuffisance de ses contenus sociaux » et son « libéralisme excessif » (p. 178). Pour procéder à un véritable examen de conscience, Lionel Jospin aurait dû se poser quelques questions : quand a-t-il cherché à corriger ce libéralisme excessif ? En disant « non au non » au traité de Maastricht ? En signant le pacte dit « de croissance et de stabilité », en 1997 ? En organisant la libéralisation des services publics, lors des sommets de Lisbonne (2000) et de Barcelone (2002) ? Ou encore en cautionnant l’idée d’une Constitution européenne en 2000, pour laquelle il fera campagne en 2005 ?
Ce qui m’a le plus intéressé, à vrai dire, dans ce livre c’est l’histoire des choix tactiques et des conflits d’appareil qu’il éclaire d’une vive lumière, s’agissant de l’histoire interne du Parti socialiste sur la période 1988-92 notamment. Ce qui me frappe le plus c’est l’absence de réflexion stratégique sur trente ans d’histoire de la gauche.
Dans ce livre il n’est presque jamais question de la France. Elle disparaît. Elle est comme happée par « l’Europe » que l’ancien Premier ministre a acceptée comme le choix directeur qui commandait tous les autres, même s’il confesse, au passage, « l’insuffisance de ses contenus sociaux » et son « libéralisme excessif » (p. 178). Pour procéder à un véritable examen de conscience, Lionel Jospin aurait dû se poser quelques questions : quand a-t-il cherché à corriger ce libéralisme excessif ? En disant « non au non » au traité de Maastricht ? En signant le pacte dit « de croissance et de stabilité », en 1997 ? En organisant la libéralisation des services publics, lors des sommets de Lisbonne (2000) et de Barcelone (2002) ? Ou encore en cautionnant l’idée d’une Constitution européenne en 2000, pour laquelle il fera campagne en 2005 ?
Je partage avec Lionel Jospin le constat que la période était difficile avec Reagan au pouvoir aux Etats-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne, mais la France devait-elle se résigner à importer le modèle néolibéral sur le continent, avec la déréglementation financière et l’institution d’une Banque Centrale européenne indépendante, véritable « Buba bis » ? La France n’avait-elle plus rien à dire d’original ? Le rôle de la gauche française n’eût-il pas été de chercher un compromis dynamique avec l’environnement extérieur, en portant un projet républicain moderne, plutôt que de donner les clés de la maison aux oligarchies financières ? Il y avait historiquement une belle place à prendre pour la France entre le communisme sénescent et l’ultralibéralisme néoconservateur. Et qu’on ne nous rebatte pas les oreilles avec « la seule politique possible ». On voit où elle nous a conduits.
Lionel Jospin justifie rétrospectivement la formule qu’il a employée, en mars 1983, de « parenthèse libérale ». « Cette évocation de la parenthèse, écrit-il, était une façon [pour lui] d’accepter et de faire accepter le changement. D’ailleurs elle ne sera pas si mal comprise, puisqu’il n’y aura pas de désarroi chez nos militants »… (p. 100). Curieusement, dans une interview au Monde du 8 janvier 2010, Lionel Jospin, sentant sans doute la faiblesse de son argument, n’hésite pas à écrire : « D’une certains façon, mon gouvernement, en 1997, a refermé « la parenthèse », en conciliant croissance et respect des équilibres, réduction massive du chômage et réalisme économique ». On croit rêver : Lionel Jospin aurait fermé le cycle du social libéralisme !
Pour le reste, ce livre fonctionne comme un disque rayé.
Le 21 avril ne serait l’effet que de la méchanceté de Jacques Chirac, de la volonté d’apparaître de Christiane Taubira, et de l’ambition chimérique de Jean-Pierre Chevènement, comme si l’idée d’un projet républicain moderne était une chimère !
N’était-il pas légitime que je fusse candidat, au nom du Mouvement des Citoyens, composante parmi d’autres de la « gauche plurielle », pour redresser le cours des choses, dès lors que les idées que je portais avaient été marginalisées au sein du gouvernement ?
Et pas seulement sur l’affaire corse, au cœur de mes compétences ministérielles, mais sur bien d’autres sujets (Europe, politique industrielle, bombardements sur la Yougoslavie, etc.). Fallait-il, après que le gouvernement tout entier – et pas seulement moi – eût été mis devant le fait accompli sur l’octroi de compétences législatives à la Corse, que je renie près de quarante ans de combats politiques ?
Lionel Jospin semble découvrir que la gauche a plus de chances unie que divisée. Mais qu’a-t-il fait pour éviter qu’elle se divise ? Il lui eut fallu peu de choses pour convaincre Christiane Taubira de se retirer. Seule sa conviction d’être présent, en tout état de cause, au deuxième tour, l’y a fait renoncer. A-t-il même réfléchi aux raisons pour lesquelles cette division s’est produite ?
Lionel Jospin ne s’interroge pas sur les causes profondes de la défaite de 2002 : l’éloignement des couches populaires d’abord. Pourquoi 11 % seulement des ouvriers ont-ils voté pour lui le 21 avril 2002 ? Ce n’est quand même pas la faute de Chevènement ! Et pas davantage ne s’attarde-t-il sur la montée de l’extrême-droite et de l’abstentionnisme.
Chaque fois qu’il évoque ma personne, Lionel Jospin est rarement à court d’une insinuation malveillante. Qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie, où reprenant une perfide antienne, il m’impute de « n’avoir pas fait les mêmes choix [que lui] pendant la guerre d’Algérie » (p.32). La seule différence, à ma connaissance, est qu’il a fait son service militaire en Allemagne et moi en Algérie, où j’ai pris, après la dissolution des SAS (sections administratives spécialisées, lointaines héritières des « bureaux arabes »), plus de risques que lui à combattre l’OAS. A vingt ans, j’étais membre de l’Amicale de l’UNEF de Sciences Po.
De même sur les fournitures d’armes à l’Irak à l’automne 1983 (p. 132). J’aurais eu quelque peine à les favoriser, n’étant plus au gouvernement depuis six mois !
Ou encore, s’agissant de la solution de la « querelle scolaire », où je n’aurais fait que mettre en œuvre les « dispositions simples et pratiques » arrêtées par lui-même et par le Président de la République, « en plein accord et presque seuls » (p. 104). Il faut apparemment me réduire au rôle de simple exécutant pour que Lionel Jospin puisse seul marquer le terrain de l’Education, où son inspiration ne rejoint pas la mienne.
Laissons là ces petitesses. Lionel Jospin, bien que manquant d’une grande vision politique, a été un bon Premier ministre. Je ne reviendrai pas sur ce débat rétrospectif. Au fond je n’ai rien à retirer de ce que j’ai écrit sur ce sujet dans « Défis Républicains » (Fayard, 2004) particulièrement dans les chapitres 12 (« le pari de la gauche plurielle ») et 16 (« l’échec de la gauche plurielle »). Je fais confiance à la sagacité des historiens et à la raison des militants.
La vérité est que Lionel Jospin et moi-même portions des conceptions politiques différentes. J’ai cherché à servir son gouvernement tout en servant la République. Je n’étais pas pour autant devenu son féal.
Un peu moins d’orgueil de sa part permettrait au Parti socialiste et à la gauche de faire l’autocritique d’une dérive libérale et européiste avec laquelle il faut rompre impérativement. L’incapacité de Lionel Jospin à se remettre en cause pèse comme un couvercle sur le cerveau d’une gauche à laquelle échappe encore le fin mot de son histoire. Elle n’aide pas non plus la France à sortir du terrible piège dans lequel elle a été enfermée par la myopie de ses élites.
Lionel Jospin justifie rétrospectivement la formule qu’il a employée, en mars 1983, de « parenthèse libérale ». « Cette évocation de la parenthèse, écrit-il, était une façon [pour lui] d’accepter et de faire accepter le changement. D’ailleurs elle ne sera pas si mal comprise, puisqu’il n’y aura pas de désarroi chez nos militants »… (p. 100). Curieusement, dans une interview au Monde du 8 janvier 2010, Lionel Jospin, sentant sans doute la faiblesse de son argument, n’hésite pas à écrire : « D’une certains façon, mon gouvernement, en 1997, a refermé « la parenthèse », en conciliant croissance et respect des équilibres, réduction massive du chômage et réalisme économique ». On croit rêver : Lionel Jospin aurait fermé le cycle du social libéralisme !
Pour le reste, ce livre fonctionne comme un disque rayé.
Le 21 avril ne serait l’effet que de la méchanceté de Jacques Chirac, de la volonté d’apparaître de Christiane Taubira, et de l’ambition chimérique de Jean-Pierre Chevènement, comme si l’idée d’un projet républicain moderne était une chimère !
N’était-il pas légitime que je fusse candidat, au nom du Mouvement des Citoyens, composante parmi d’autres de la « gauche plurielle », pour redresser le cours des choses, dès lors que les idées que je portais avaient été marginalisées au sein du gouvernement ?
Et pas seulement sur l’affaire corse, au cœur de mes compétences ministérielles, mais sur bien d’autres sujets (Europe, politique industrielle, bombardements sur la Yougoslavie, etc.). Fallait-il, après que le gouvernement tout entier – et pas seulement moi – eût été mis devant le fait accompli sur l’octroi de compétences législatives à la Corse, que je renie près de quarante ans de combats politiques ?
Lionel Jospin semble découvrir que la gauche a plus de chances unie que divisée. Mais qu’a-t-il fait pour éviter qu’elle se divise ? Il lui eut fallu peu de choses pour convaincre Christiane Taubira de se retirer. Seule sa conviction d’être présent, en tout état de cause, au deuxième tour, l’y a fait renoncer. A-t-il même réfléchi aux raisons pour lesquelles cette division s’est produite ?
Lionel Jospin ne s’interroge pas sur les causes profondes de la défaite de 2002 : l’éloignement des couches populaires d’abord. Pourquoi 11 % seulement des ouvriers ont-ils voté pour lui le 21 avril 2002 ? Ce n’est quand même pas la faute de Chevènement ! Et pas davantage ne s’attarde-t-il sur la montée de l’extrême-droite et de l’abstentionnisme.
Chaque fois qu’il évoque ma personne, Lionel Jospin est rarement à court d’une insinuation malveillante. Qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie, où reprenant une perfide antienne, il m’impute de « n’avoir pas fait les mêmes choix [que lui] pendant la guerre d’Algérie » (p.32). La seule différence, à ma connaissance, est qu’il a fait son service militaire en Allemagne et moi en Algérie, où j’ai pris, après la dissolution des SAS (sections administratives spécialisées, lointaines héritières des « bureaux arabes »), plus de risques que lui à combattre l’OAS. A vingt ans, j’étais membre de l’Amicale de l’UNEF de Sciences Po.
De même sur les fournitures d’armes à l’Irak à l’automne 1983 (p. 132). J’aurais eu quelque peine à les favoriser, n’étant plus au gouvernement depuis six mois !
Ou encore, s’agissant de la solution de la « querelle scolaire », où je n’aurais fait que mettre en œuvre les « dispositions simples et pratiques » arrêtées par lui-même et par le Président de la République, « en plein accord et presque seuls » (p. 104). Il faut apparemment me réduire au rôle de simple exécutant pour que Lionel Jospin puisse seul marquer le terrain de l’Education, où son inspiration ne rejoint pas la mienne.
Laissons là ces petitesses. Lionel Jospin, bien que manquant d’une grande vision politique, a été un bon Premier ministre. Je ne reviendrai pas sur ce débat rétrospectif. Au fond je n’ai rien à retirer de ce que j’ai écrit sur ce sujet dans « Défis Républicains » (Fayard, 2004) particulièrement dans les chapitres 12 (« le pari de la gauche plurielle ») et 16 (« l’échec de la gauche plurielle »). Je fais confiance à la sagacité des historiens et à la raison des militants.
La vérité est que Lionel Jospin et moi-même portions des conceptions politiques différentes. J’ai cherché à servir son gouvernement tout en servant la République. Je n’étais pas pour autant devenu son féal.
Un peu moins d’orgueil de sa part permettrait au Parti socialiste et à la gauche de faire l’autocritique d’une dérive libérale et européiste avec laquelle il faut rompre impérativement. L’incapacité de Lionel Jospin à se remettre en cause pèse comme un couvercle sur le cerveau d’une gauche à laquelle échappe encore le fin mot de son histoire. Elle n’aide pas non plus la France à sortir du terrible piège dans lequel elle a été enfermée par la myopie de ses élites.