I – Deux nations dont le sort a été longtemps étroitement mêlé.
1. On ne sait si la France a conquis l’Angleterre en 1066. Certains le croient : ce sont les Français. Pour les Anglais, ce sont les Normands mais ceux-ci s’étaient, après un siècle et demi, complètement francisés (Ces sauvageons avaient construit les abbayes de Jumièges, de St Wandrille et tissé la Tapisserie de Bayeux !
Les souverains britanniques sont restés longtemps rois de France mais ce sont les Plantagenet qui n’étaient pas normands mais d’Anjou. Grâce à Aliénor d’Aquitaine ils ont pu soutenir, jusqu’au XVe siècle, plus que l’idée : la réalité d’un Royaume unique, que le Channel traversait, comme la Seine traverse Paris.
1. On ne sait si la France a conquis l’Angleterre en 1066. Certains le croient : ce sont les Français. Pour les Anglais, ce sont les Normands mais ceux-ci s’étaient, après un siècle et demi, complètement francisés (Ces sauvageons avaient construit les abbayes de Jumièges, de St Wandrille et tissé la Tapisserie de Bayeux !
Les souverains britanniques sont restés longtemps rois de France mais ce sont les Plantagenet qui n’étaient pas normands mais d’Anjou. Grâce à Aliénor d’Aquitaine ils ont pu soutenir, jusqu’au XVe siècle, plus que l’idée : la réalité d’un Royaume unique, que le Channel traversait, comme la Seine traverse Paris.
2. Une longue rivalité a ensuite opposé nos deux nations pour la conquête de l’hégémonie maritime et mondiale du XVIIe jusqu’au début du XIXe siècle. La France avait des avantages naturels incomparables. Ce fut la raison de sa défaite. L’Angleterre a vaincu par l’artifice, c’est-à-dire par l’intelligence, parce qu’elle est une île.
Les Anglais n’avaient qu’une obsession : la mer, la marine, le monde et d’abord le continent le plus proche : l’Amérique. Les Français étaient, eux, tiraillés entre plusieurs directions : le continent, le grand large, la Méditerranée, l’Orient. Bref, ne sachant où donner de la tête. Les Français n’ont jamais pu traverser la Manche parce que la Navy veillait. J’ai recensé sur le continent pas moins de quinze coalitions contre la France entre 1668 et 1815, du début du règne de Louis XIV jusqu’à la fin de l’Empire napoléonien. Voilà une politique !
3. Puis ce fut, avec la modification de la hiérarchie des puissances, le temps de l’Entente Cordiale. 1904 – Edouard VII renonça le premier, à ma connaissance, à être sacré « Roi de France ».
Les deux conflits mondiaux ont créé entre nos deux peuples des liens profonds qui vivent dans le cœur de chaque Français. De Gaulle-Churchill ont parlé d’une « guerre de Trente Ans » faisant ainsi du second conflit mondial une surenchère du pangermanisme qui n’avait pas admis sa défaite de 1918. C’est un peu réducteur, car Hitler introduisait une discontinuité radicale par rapport aux dirigeants du IIe Reich. Nos deux démocraties ont combattu côte à côte et cela sans discontinuer grâce à De Gaulle, investi par Churchill d’avoir à incarner la légitimité d’une France debout. Il est vrai que nous étions en avant-garde, isolés et de surcroît divisés contre nous-mêmes comme l’étaient beaucoup d’Européens de l’époque qui voyaient dans l’URSS et le communisme un péril plus grand qu’Hitler. Les Français savent ce qu’ils doivent à Churchill, qui, lui, savait combien la France avait souffert de 1914 à 1918 et combien elle avait été seule en 1940.
Ces liens profonds ne doivent pas s’effacer. Ils sont un précieux capital pour construire un avenir commun. L’Europe s’est rétrécie. L’hégémonie a passé l’Océan. Certes l’horizon de la Grande-Bretagne a toujours été le monde et d’abord les peuples de langue anglaise, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les pays du Commonwealth l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Afrique anglophone.
4. Pour autant, dans le monde divers et quelque peu chaotique d’aujourd’hui, les Etats-Unis sont de plus en plus entraînés vers le Pacifique et la Chine. La Grande-Bretagne participe aussi de cette attraction mais rien ne peut faire qu’elle ne demeure d’Europe, à quelques encablures de Calais. Compte tenu des problèmes qui s’y posent, j’avais proposé en 1999 à Jack Straw, alors ministre de l’Intérieur, la rétrocession de la ville au Royaume Uni, seul moyen, à mes yeux, de rendre sensible les Britanniques à leur caractère insoluble …
Pour mille raisons, la Grande-Bretagne ne peut se désintéresser de l’Europe.
II – Mais la crise de l’Union européenne est aujourd’hui manifeste.
1. L’objectif de la création d’une zone de libre-échange a été non seulement acquis mais même dépassé : S’agissant de la circulation des biens, des services, des capitaux, des hommes enfin (bien que la Grande-Bretagne ne soit pas dans Schengen).
La question est : l’Union européenne, aujourd’hui, est-elle utile ? Elle peut certainement être perfectionnée, comme l’a montré Sir Peter Ricketts, que je remercie à nouveau, à l’occasion du colloque de « Res Publica » sur « Le Royaume Uni et l’Europe ». Elle est un fait politique : il y a une solidarité de destin entre les peuples européens.
2. Le processus de décision communautaire est sans doute à la fois lent et tracassier. Les institutions de l’Union européenne apparaissent dépassées, sauf le Conseil européen qui incarne la légitimité démocratique. La Commission à 28 a le monopole de la proposition mais peut-elle définir l’intérêt général ?
- la BCE est indépendante par définition
- la justice européenne, CJUE – CEDH, empiéte sur les prérogatives régaliennes des Etats
- Le Parlement européen n’est pas un Parlement. Comme l’a souligné la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, « Il n’y a pas de peuple européen ». Le Parlement européen est donc « la juxtaposition de la représentation de 28 peuples ».
3. La Défense est assurée dans le cadre de l’OTAN.
La défense européenne est un serpent de mer. Ni les Européens par pacifisme, ni les Américains n’en veulent.
L’Union européenne reste ainsi inféodée à un centre de décision extérieur : la politique menée au Proche et Moyen-Orient, la crise ukrainienne et la relation Union européenne/Russie l’illustrent à l’évidence.
4. La création de la monnaie unique a non seulement fractionné l’Europe en deux parties : les 19 et les 9 (Grande-Bretagne, Danemark, Suède, Hongrie, Pologne, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Roumanie), compliquant ainsi le processus de décision (CE/PE), mais a mis la croissance en panne. Le vice constitutif de l’euro : l’hétérogénéité de la zone euro, la faible mobilité de la main d’œuvre et le refus des transferts massifs qu’impliquerait une organisation fédérale conduisent à une situation où les pays surendettés sont astreints à réduire leur déficit. Le traité budgétaire TSCG (2012) a abouti à une austérité généralisée et à une stagnation de longue durée ; les signes actuels de reprise n’inversent pas la tendance générale.
Les remèdes mis en œuvre par la BCE (Q.E.) seront, selon moi, peu efficaces :
- tardifs
- mal ciblés (les Etats, les marchés boursiers)
- et n’auront pas d’effets sur la croissance, faute d’une articulation suffisante avec l’appareil productif.
Une récession américaine probable en 2017 sonnerait le glas d’une reprise européenne insuffisante (limites de la baisse de l’euro = chute des monnaies « émergentes »). Le problème est que la crise de l’euro est contagieuse. Elle concerne aussi « l’autre Europe » (Grande-Bretagne) et les pays qui sont dans l’orbite de l’Union européenne (Afrique – Russie).
III – Il vaudrait mieux revenir à l’idée initiale avancée il y a vingt-cinq ans par la Grande-Bretagne : celle de la monnaie commune, par opposition à la monnaie unique.
Le péché originel de l’euro monnaie unique est l’hétérogénéité, d’où résulte pour certains pays une perte de compétitivité, incurable à un horizon raisonnable.
La reconquête de la compétitivité de chaque économie serait beaucoup moins douloureuse par la voie d’une correction monétaire que par celle d’une dévaluation interne.
Le principe de la monnaie commune serait de maintenir un toit européen commun, une devise commune réservée aux échanges internationaux. Cette devise serait elle-même constituée d’un panier de monnaies nationales internes, rassemblées au sein d’un SME bis. Ces monnaies internes seraient fixées à une parité correspondant à la compétitivité réelle observée depuis 1999, date de création de la monnaie unique. Les parités entre les subdivisions nationales de l’euro, monnaie commune, seraient fixes mais révisables périodiquement.
Ce mécanisme permettrait un retour à la compétitivité de chaque économie non seulement à l’égard des autres zones monétaires que l’euro mais surtout à l’intérieur de la zone euro elle-même. Les déséquilibres internes – entre la France et l’Allemagne notamment - se réduiraient. Chaque pays pourrait se rapprocher de sa croissance potentielle. Les effets de domination seraient corrigés. L’Europe redeviendrait « vivable ».
La monnaie commune pourrait agréger d’autres monnaies si les autorités de leurs pays en décidaient ainsi : la livre britannique, la couronne suédoise, le zloty polonais, voire le rouble russe, sans préjudice pour leurs économies. Bien entendu, une telle réforme serait facilitée par une réforme du système monétaire international avec un yuan convertible et un DTS agrégeant les principales monnaies du monde. L’euro pourrait ainsi servir de monnaie de réserve.
IV – Il ne faut pas renoncer à l’objectif de l’unité européenne.
1. Cette unité doit se faire dans le prolongement des nations et non en substitution. La montée des « émergents » est une tendance séculaire normale. Il peut y avoir des phases de ralentissements mais le « trend » ne s’inversera pas. Déjà l’envol de la Chine fait apparaître une nouvelle bipolarité dont les Etats-Unis ont tenu compte : Le pivotement de leur politique étrangère et de défense vers le Pacifique.
2. De nouvelles configurations de forces apparaissent :
- les ambitions de l’Inde,
- le réveil japonais,
- la revendication implicite d’une hégémonie brésilienne sur l’Atlantique Sud.
- l’endiguement en pointillé de la Chine par les Etats-Unis en Asie du Sud et de l’Est
- la nouvelle question d’Orient
- le retour de l’Iran dans la Communauté internationale
- l’avenir de la Turquie avec le problème kurde
- la question sunnite : l’avenir et la sécurité de l’Arabie Séoudite et de l’Egypte, le remodelage trop souvent évoqué du Proche et du Moyen-Orient
- la question russe enfin : le projet de V.Poutine est un projet national, non impérial.
La question de l’Ukraine ne peut pas être traitée comme si depuis longtemps la Russie et l’Ukraine n’étaient pas déjà économiquement une zone de libre échange, intriquée à tous points de vue. On a voulu enfermer l’Ukraine dans un dilemme impossible : soit vous êtes pro-russes, soit vous êtes pro-européens alors que l’Ukraine est d’abord ukrainienne.
L’Ukraine fait partie de l’espace postsoviétique (fin de l’URSS en 1991). L’Ukraine est aussi un pays hétérogène : austro-hongrois ou polonais avant 1939 à l’Ouest, russophone et toujours proche de la Russie à l’Est. La proposition d’un accord d’association avec l’Union européenne a été mal négociée. La Russie tenue à l’écart, l’incitation était faible (560 M$).
Il était prévisible qu’elle fût sinon rejetée du moins reportée par le Président Yanoukovitch.
Vu dans les médias de l’Ouest Maïdan était une révolution démocratique ; Vu de l’Est, un coup d’Etat. L’accord du 21/02/2014 a été considéré par la Rada comme un chiffon de papier (éviction de Yanoukovitch + loi interdisant le russe).
Les Russes ont répondu à ce qu’ils considéraient comme une provocation par un acte similaire. La crainte de voir remise en cause la concession de la base de Sébastopol jusqu’en 2042 les a conduits à accepter la demande de rattachement de la Crimée à la Russie.
Je ne reviens pas sur le fond de l’affaire mais la politique des sanctions se révèle extrêmement déstabilisatrice. La troisième tentative de modernisation de la Russie risque d’être un nouvel échec gravissime par ses conséquences.
Elle touche à l’ensemble de l’économie : PIB diminuant de 4,8 % en 2015, le prix du pétrole a été simultanément divisé par deux, la diversification de l’économie russe se trouve enrayée et la Russie rejetée vers l’Asie.
Est-ce bien raisonnable ?
- le peuple russe est un peuple européen
- il est affronté aux mêmes défis que les pays occidentaux : la montée de l’islamisme radical ; A long terme l’inévitable montée en puissance de la Chine.
Nous avons besoin de la Russie
- en Asie centrale
- dans le Caucase
- au Proche et Moyen-Orient : (accord avec l’Iran pour gérer le TNP).
Faut-il rappeler ce que la culture russe apporte à la culture européenne ?
La Russie a un problème d’identité avec la parenthèse bolchevique de plus de soixante-dix ans qu’elle doit refermer :
- Les chances d’un 3ème « reset » américano-russe ne me paraissent pas nulles. Faut-il les obérer définitivement ?
La question que nous devons nous poser : Que voulons-nous ?
- une coopération stratégique ou un refoulement de la Russie hors d’Europe ?
- un changement de régime ? ou un confortement de l’Etat de droit ?
A toutes ces questions, nous devons répondre ensemble. Pour ma part je ne pense pas qu’il faille construire l’Europe contre la Russie. L’Union européenne et la Russie pourraient coopérer utilement au sauvetage économique de l’Ukraine.
3. Je ne suis pas de ceux qui souhaitent un Brexit. Quels avantages ?
- la révision de la contribution britannique à l’Europe ?
- le contrôle des flux migratoires ?
- Une Europe à la carte pour satisfaire la démocratie ?
Ces objectifs peuvent être atteints par une négociation raisonnable.
4. Il existe entre nos deux nations une vraie communauté de destin.
Le principal danger de cette période historique c’est le terrorisme djihadiste
- intégration ou modèle multiculturel ? le multiculturalisme est un fait mais la politique d’intégration doit continuer
-la coopération industrielle
-la défense : deux nations nucléaires qui réalisent la mise en commun de leurs efforts notamment dans le domaine de la simulation
Surtout, nous sommes deux vieilles nations : une même conception de l’Europe, confédérale, doit nous réunir.
Les Etats-Unis sont-ils entre nous un objet de dissentiment ?
Obama a eu raison de se retirer d’Irak et d’Afghanistan, sauf à la marge (quelques milliers d’hommes), le terrorisme djihadiste c’est d’abord le problème des musulmans, sous réserve d’une révision profonde de la politique occidentale vis-à-vis du monde arabo-musulman.
Le problème palestinien est une épine dans la relation entre le monde arabe et l’Occident. On a oublié la laïcité (ou la sécularisation) et trop mis l’accent sur ce qui oppose les trois monothéismes : croisés contre musulmans qui seraient tous également fanatiques qui seraient incapables de distinguer la sphère religieuse d’une sphère politique gouvernée par la raison naturelle, alors que des trois monothéismes, l’Islam est celui qui fait le plus appel à la rationalité !
Les ingérences militaires dans les affaires du monde arabo musulman ont presque toutes été déstabilisatrices :
- Mossadegh en Iran en 1954 a donné Khomeiny
- Les deux guerres du Golfe ont conduit à Daesh
Syrie-Libye sont des contre-exemples sur lesquels je ne m’étendrai pas.
Il peut y avoir des interventions militaires occidentales à conditions qu’elles soient ciblées et faites sous le chapeau de l’ONU et à la demande des pays concernés : Mali.
Nous devons aider les Etats-Unis à revoir leur politique dans le monde arabo-musulman.
Un ancien ambassadeur de Grande-Bretagne me disait que nos politiques pouvaient être complémentaires. En se situant très près des Etats-Unis et parlant à leur oreille, les Britanniques pouvaient leur donner tous les conseils dont ils avaient besoin. De leur côté, les Français en criant très fort pouvaient donner l’alerte et indiquer les zones sensibles où il valait mieux ne pas s’aventurer.
Il me semble qu’aujourd’hui les rôles sont un peu renversés. L’affaire d’Irak vous a vaccinés, tandis que nous semblons ne rêver que de « frappes conjointes ». Je ne suis pas sûr que cela permette aujourd’hui mieux qu’hier de parler « à l’oreille des Etats-Unis ». Une chose est sûre : si nous harmonisions nos positions et nos actions, nous aurions un petit peu plus de chances de nous faire entendre.
Conclusion
Quoi qu’il arrive, nous irons de plus en plus vers une « Europe à la carte ».
Des institutions qu’il faut revoir :
- Conseil européen qui a la légitimité mais n’est pas organisé pour être pleinement opérationnel
- une Commission ramassée, ramenée au rôle utile d’une Administration chargée de préparer et d’exécuter les décisions du Conseil
- un Parlement européen qui gagnerait à être composé de délégations des Parlements nationaux
- une Cour de Justice respectueuse des prérogatives régaliennes des Etats.
- Une confédération politique européenne, alliée des Etats-Unis mais non vassale.
Il n’est pas possible en effet de connaître à l’avance la politique des Etats-Unis, celle que fera en 2017 le futur Président des Etats-Unis. Et il serait dommage que nos deux vieilles nations se convainquent qu’elles n’ont plus rien à dire.
Depuis le XVIIIe siècle, une « pentarchie » gouvernait l’Europe. L’Autriche a fait défaut. L’Allemagne a remplacé la Prusse. Restent la Grande-Bretagne, la France et la Russie. Il y a une dizaine de critères qui définissent une grande puissance (sa population, son PNB, sa puissance financière, son commerce extérieur, le nombre de ses grandes firmes, son rayonnement culturel, l’usage et le rôle international de sa langue, son réseau diplomatique, son appartenance – ou non – au CSNU, sa dissuasion nucléaire, sa capacité de projection militaire, etc.).
A cette aune, il y a toujours en Europe les mêmes quatre puissances: Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie. Les Etats-Unis boxent dans une catégorie supérieure : celle des très grandes puissances où la Chine aspire un jour à les rejoindre. Cela fait six à quoi il faudra ajouter le Japon, l’Inde, le Brésil. Mais y a-t-il beaucoup de pays émergents qui peuvent venir de surcroît d’ici 2050 en plus de ces neuf là, à l’aune des dix critères mentionnés ? Peut-être la Turquie ? Peut-être l’Iran ?
Pour continuer à peser de manière à la fois indépendante et rationnelle, la Grande-Bretagne et la France ont intérêt à resserrer leur coopération et à donner vie à celles qu’elles ont conclues à Saint-Malo et à Lancaster House. Ce n’est pas seulement la raison qui le dicte, mais une fréquentation multiséculaire qui a tissé entre la France et la Grande-Bretagne, quelles que soient nos différences, une connaissance mutuelle sans égale, faite à la fois de respect et d’affection.
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Seul le prononcé fait foi.
Les Anglais n’avaient qu’une obsession : la mer, la marine, le monde et d’abord le continent le plus proche : l’Amérique. Les Français étaient, eux, tiraillés entre plusieurs directions : le continent, le grand large, la Méditerranée, l’Orient. Bref, ne sachant où donner de la tête. Les Français n’ont jamais pu traverser la Manche parce que la Navy veillait. J’ai recensé sur le continent pas moins de quinze coalitions contre la France entre 1668 et 1815, du début du règne de Louis XIV jusqu’à la fin de l’Empire napoléonien. Voilà une politique !
3. Puis ce fut, avec la modification de la hiérarchie des puissances, le temps de l’Entente Cordiale. 1904 – Edouard VII renonça le premier, à ma connaissance, à être sacré « Roi de France ».
Les deux conflits mondiaux ont créé entre nos deux peuples des liens profonds qui vivent dans le cœur de chaque Français. De Gaulle-Churchill ont parlé d’une « guerre de Trente Ans » faisant ainsi du second conflit mondial une surenchère du pangermanisme qui n’avait pas admis sa défaite de 1918. C’est un peu réducteur, car Hitler introduisait une discontinuité radicale par rapport aux dirigeants du IIe Reich. Nos deux démocraties ont combattu côte à côte et cela sans discontinuer grâce à De Gaulle, investi par Churchill d’avoir à incarner la légitimité d’une France debout. Il est vrai que nous étions en avant-garde, isolés et de surcroît divisés contre nous-mêmes comme l’étaient beaucoup d’Européens de l’époque qui voyaient dans l’URSS et le communisme un péril plus grand qu’Hitler. Les Français savent ce qu’ils doivent à Churchill, qui, lui, savait combien la France avait souffert de 1914 à 1918 et combien elle avait été seule en 1940.
Ces liens profonds ne doivent pas s’effacer. Ils sont un précieux capital pour construire un avenir commun. L’Europe s’est rétrécie. L’hégémonie a passé l’Océan. Certes l’horizon de la Grande-Bretagne a toujours été le monde et d’abord les peuples de langue anglaise, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les pays du Commonwealth l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Afrique anglophone.
4. Pour autant, dans le monde divers et quelque peu chaotique d’aujourd’hui, les Etats-Unis sont de plus en plus entraînés vers le Pacifique et la Chine. La Grande-Bretagne participe aussi de cette attraction mais rien ne peut faire qu’elle ne demeure d’Europe, à quelques encablures de Calais. Compte tenu des problèmes qui s’y posent, j’avais proposé en 1999 à Jack Straw, alors ministre de l’Intérieur, la rétrocession de la ville au Royaume Uni, seul moyen, à mes yeux, de rendre sensible les Britanniques à leur caractère insoluble …
Pour mille raisons, la Grande-Bretagne ne peut se désintéresser de l’Europe.
II – Mais la crise de l’Union européenne est aujourd’hui manifeste.
1. L’objectif de la création d’une zone de libre-échange a été non seulement acquis mais même dépassé : S’agissant de la circulation des biens, des services, des capitaux, des hommes enfin (bien que la Grande-Bretagne ne soit pas dans Schengen).
La question est : l’Union européenne, aujourd’hui, est-elle utile ? Elle peut certainement être perfectionnée, comme l’a montré Sir Peter Ricketts, que je remercie à nouveau, à l’occasion du colloque de « Res Publica » sur « Le Royaume Uni et l’Europe ». Elle est un fait politique : il y a une solidarité de destin entre les peuples européens.
2. Le processus de décision communautaire est sans doute à la fois lent et tracassier. Les institutions de l’Union européenne apparaissent dépassées, sauf le Conseil européen qui incarne la légitimité démocratique. La Commission à 28 a le monopole de la proposition mais peut-elle définir l’intérêt général ?
- la BCE est indépendante par définition
- la justice européenne, CJUE – CEDH, empiéte sur les prérogatives régaliennes des Etats
- Le Parlement européen n’est pas un Parlement. Comme l’a souligné la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, « Il n’y a pas de peuple européen ». Le Parlement européen est donc « la juxtaposition de la représentation de 28 peuples ».
3. La Défense est assurée dans le cadre de l’OTAN.
La défense européenne est un serpent de mer. Ni les Européens par pacifisme, ni les Américains n’en veulent.
L’Union européenne reste ainsi inféodée à un centre de décision extérieur : la politique menée au Proche et Moyen-Orient, la crise ukrainienne et la relation Union européenne/Russie l’illustrent à l’évidence.
4. La création de la monnaie unique a non seulement fractionné l’Europe en deux parties : les 19 et les 9 (Grande-Bretagne, Danemark, Suède, Hongrie, Pologne, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Roumanie), compliquant ainsi le processus de décision (CE/PE), mais a mis la croissance en panne. Le vice constitutif de l’euro : l’hétérogénéité de la zone euro, la faible mobilité de la main d’œuvre et le refus des transferts massifs qu’impliquerait une organisation fédérale conduisent à une situation où les pays surendettés sont astreints à réduire leur déficit. Le traité budgétaire TSCG (2012) a abouti à une austérité généralisée et à une stagnation de longue durée ; les signes actuels de reprise n’inversent pas la tendance générale.
Les remèdes mis en œuvre par la BCE (Q.E.) seront, selon moi, peu efficaces :
- tardifs
- mal ciblés (les Etats, les marchés boursiers)
- et n’auront pas d’effets sur la croissance, faute d’une articulation suffisante avec l’appareil productif.
Une récession américaine probable en 2017 sonnerait le glas d’une reprise européenne insuffisante (limites de la baisse de l’euro = chute des monnaies « émergentes »). Le problème est que la crise de l’euro est contagieuse. Elle concerne aussi « l’autre Europe » (Grande-Bretagne) et les pays qui sont dans l’orbite de l’Union européenne (Afrique – Russie).
III – Il vaudrait mieux revenir à l’idée initiale avancée il y a vingt-cinq ans par la Grande-Bretagne : celle de la monnaie commune, par opposition à la monnaie unique.
Le péché originel de l’euro monnaie unique est l’hétérogénéité, d’où résulte pour certains pays une perte de compétitivité, incurable à un horizon raisonnable.
La reconquête de la compétitivité de chaque économie serait beaucoup moins douloureuse par la voie d’une correction monétaire que par celle d’une dévaluation interne.
Le principe de la monnaie commune serait de maintenir un toit européen commun, une devise commune réservée aux échanges internationaux. Cette devise serait elle-même constituée d’un panier de monnaies nationales internes, rassemblées au sein d’un SME bis. Ces monnaies internes seraient fixées à une parité correspondant à la compétitivité réelle observée depuis 1999, date de création de la monnaie unique. Les parités entre les subdivisions nationales de l’euro, monnaie commune, seraient fixes mais révisables périodiquement.
Ce mécanisme permettrait un retour à la compétitivité de chaque économie non seulement à l’égard des autres zones monétaires que l’euro mais surtout à l’intérieur de la zone euro elle-même. Les déséquilibres internes – entre la France et l’Allemagne notamment - se réduiraient. Chaque pays pourrait se rapprocher de sa croissance potentielle. Les effets de domination seraient corrigés. L’Europe redeviendrait « vivable ».
La monnaie commune pourrait agréger d’autres monnaies si les autorités de leurs pays en décidaient ainsi : la livre britannique, la couronne suédoise, le zloty polonais, voire le rouble russe, sans préjudice pour leurs économies. Bien entendu, une telle réforme serait facilitée par une réforme du système monétaire international avec un yuan convertible et un DTS agrégeant les principales monnaies du monde. L’euro pourrait ainsi servir de monnaie de réserve.
IV – Il ne faut pas renoncer à l’objectif de l’unité européenne.
1. Cette unité doit se faire dans le prolongement des nations et non en substitution. La montée des « émergents » est une tendance séculaire normale. Il peut y avoir des phases de ralentissements mais le « trend » ne s’inversera pas. Déjà l’envol de la Chine fait apparaître une nouvelle bipolarité dont les Etats-Unis ont tenu compte : Le pivotement de leur politique étrangère et de défense vers le Pacifique.
2. De nouvelles configurations de forces apparaissent :
- les ambitions de l’Inde,
- le réveil japonais,
- la revendication implicite d’une hégémonie brésilienne sur l’Atlantique Sud.
- l’endiguement en pointillé de la Chine par les Etats-Unis en Asie du Sud et de l’Est
- la nouvelle question d’Orient
- le retour de l’Iran dans la Communauté internationale
- l’avenir de la Turquie avec le problème kurde
- la question sunnite : l’avenir et la sécurité de l’Arabie Séoudite et de l’Egypte, le remodelage trop souvent évoqué du Proche et du Moyen-Orient
- la question russe enfin : le projet de V.Poutine est un projet national, non impérial.
La question de l’Ukraine ne peut pas être traitée comme si depuis longtemps la Russie et l’Ukraine n’étaient pas déjà économiquement une zone de libre échange, intriquée à tous points de vue. On a voulu enfermer l’Ukraine dans un dilemme impossible : soit vous êtes pro-russes, soit vous êtes pro-européens alors que l’Ukraine est d’abord ukrainienne.
L’Ukraine fait partie de l’espace postsoviétique (fin de l’URSS en 1991). L’Ukraine est aussi un pays hétérogène : austro-hongrois ou polonais avant 1939 à l’Ouest, russophone et toujours proche de la Russie à l’Est. La proposition d’un accord d’association avec l’Union européenne a été mal négociée. La Russie tenue à l’écart, l’incitation était faible (560 M$).
Il était prévisible qu’elle fût sinon rejetée du moins reportée par le Président Yanoukovitch.
Vu dans les médias de l’Ouest Maïdan était une révolution démocratique ; Vu de l’Est, un coup d’Etat. L’accord du 21/02/2014 a été considéré par la Rada comme un chiffon de papier (éviction de Yanoukovitch + loi interdisant le russe).
Les Russes ont répondu à ce qu’ils considéraient comme une provocation par un acte similaire. La crainte de voir remise en cause la concession de la base de Sébastopol jusqu’en 2042 les a conduits à accepter la demande de rattachement de la Crimée à la Russie.
Je ne reviens pas sur le fond de l’affaire mais la politique des sanctions se révèle extrêmement déstabilisatrice. La troisième tentative de modernisation de la Russie risque d’être un nouvel échec gravissime par ses conséquences.
Elle touche à l’ensemble de l’économie : PIB diminuant de 4,8 % en 2015, le prix du pétrole a été simultanément divisé par deux, la diversification de l’économie russe se trouve enrayée et la Russie rejetée vers l’Asie.
Est-ce bien raisonnable ?
- le peuple russe est un peuple européen
- il est affronté aux mêmes défis que les pays occidentaux : la montée de l’islamisme radical ; A long terme l’inévitable montée en puissance de la Chine.
Nous avons besoin de la Russie
- en Asie centrale
- dans le Caucase
- au Proche et Moyen-Orient : (accord avec l’Iran pour gérer le TNP).
Faut-il rappeler ce que la culture russe apporte à la culture européenne ?
La Russie a un problème d’identité avec la parenthèse bolchevique de plus de soixante-dix ans qu’elle doit refermer :
- Les chances d’un 3ème « reset » américano-russe ne me paraissent pas nulles. Faut-il les obérer définitivement ?
La question que nous devons nous poser : Que voulons-nous ?
- une coopération stratégique ou un refoulement de la Russie hors d’Europe ?
- un changement de régime ? ou un confortement de l’Etat de droit ?
A toutes ces questions, nous devons répondre ensemble. Pour ma part je ne pense pas qu’il faille construire l’Europe contre la Russie. L’Union européenne et la Russie pourraient coopérer utilement au sauvetage économique de l’Ukraine.
3. Je ne suis pas de ceux qui souhaitent un Brexit. Quels avantages ?
- la révision de la contribution britannique à l’Europe ?
- le contrôle des flux migratoires ?
- Une Europe à la carte pour satisfaire la démocratie ?
Ces objectifs peuvent être atteints par une négociation raisonnable.
4. Il existe entre nos deux nations une vraie communauté de destin.
Le principal danger de cette période historique c’est le terrorisme djihadiste
- intégration ou modèle multiculturel ? le multiculturalisme est un fait mais la politique d’intégration doit continuer
-la coopération industrielle
-la défense : deux nations nucléaires qui réalisent la mise en commun de leurs efforts notamment dans le domaine de la simulation
Surtout, nous sommes deux vieilles nations : une même conception de l’Europe, confédérale, doit nous réunir.
Les Etats-Unis sont-ils entre nous un objet de dissentiment ?
Obama a eu raison de se retirer d’Irak et d’Afghanistan, sauf à la marge (quelques milliers d’hommes), le terrorisme djihadiste c’est d’abord le problème des musulmans, sous réserve d’une révision profonde de la politique occidentale vis-à-vis du monde arabo-musulman.
Le problème palestinien est une épine dans la relation entre le monde arabe et l’Occident. On a oublié la laïcité (ou la sécularisation) et trop mis l’accent sur ce qui oppose les trois monothéismes : croisés contre musulmans qui seraient tous également fanatiques qui seraient incapables de distinguer la sphère religieuse d’une sphère politique gouvernée par la raison naturelle, alors que des trois monothéismes, l’Islam est celui qui fait le plus appel à la rationalité !
Les ingérences militaires dans les affaires du monde arabo musulman ont presque toutes été déstabilisatrices :
- Mossadegh en Iran en 1954 a donné Khomeiny
- Les deux guerres du Golfe ont conduit à Daesh
Syrie-Libye sont des contre-exemples sur lesquels je ne m’étendrai pas.
Il peut y avoir des interventions militaires occidentales à conditions qu’elles soient ciblées et faites sous le chapeau de l’ONU et à la demande des pays concernés : Mali.
Nous devons aider les Etats-Unis à revoir leur politique dans le monde arabo-musulman.
Un ancien ambassadeur de Grande-Bretagne me disait que nos politiques pouvaient être complémentaires. En se situant très près des Etats-Unis et parlant à leur oreille, les Britanniques pouvaient leur donner tous les conseils dont ils avaient besoin. De leur côté, les Français en criant très fort pouvaient donner l’alerte et indiquer les zones sensibles où il valait mieux ne pas s’aventurer.
Il me semble qu’aujourd’hui les rôles sont un peu renversés. L’affaire d’Irak vous a vaccinés, tandis que nous semblons ne rêver que de « frappes conjointes ». Je ne suis pas sûr que cela permette aujourd’hui mieux qu’hier de parler « à l’oreille des Etats-Unis ». Une chose est sûre : si nous harmonisions nos positions et nos actions, nous aurions un petit peu plus de chances de nous faire entendre.
Conclusion
Quoi qu’il arrive, nous irons de plus en plus vers une « Europe à la carte ».
Des institutions qu’il faut revoir :
- Conseil européen qui a la légitimité mais n’est pas organisé pour être pleinement opérationnel
- une Commission ramassée, ramenée au rôle utile d’une Administration chargée de préparer et d’exécuter les décisions du Conseil
- un Parlement européen qui gagnerait à être composé de délégations des Parlements nationaux
- une Cour de Justice respectueuse des prérogatives régaliennes des Etats.
- Une confédération politique européenne, alliée des Etats-Unis mais non vassale.
Il n’est pas possible en effet de connaître à l’avance la politique des Etats-Unis, celle que fera en 2017 le futur Président des Etats-Unis. Et il serait dommage que nos deux vieilles nations se convainquent qu’elles n’ont plus rien à dire.
Depuis le XVIIIe siècle, une « pentarchie » gouvernait l’Europe. L’Autriche a fait défaut. L’Allemagne a remplacé la Prusse. Restent la Grande-Bretagne, la France et la Russie. Il y a une dizaine de critères qui définissent une grande puissance (sa population, son PNB, sa puissance financière, son commerce extérieur, le nombre de ses grandes firmes, son rayonnement culturel, l’usage et le rôle international de sa langue, son réseau diplomatique, son appartenance – ou non – au CSNU, sa dissuasion nucléaire, sa capacité de projection militaire, etc.).
A cette aune, il y a toujours en Europe les mêmes quatre puissances: Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie. Les Etats-Unis boxent dans une catégorie supérieure : celle des très grandes puissances où la Chine aspire un jour à les rejoindre. Cela fait six à quoi il faudra ajouter le Japon, l’Inde, le Brésil. Mais y a-t-il beaucoup de pays émergents qui peuvent venir de surcroît d’ici 2050 en plus de ces neuf là, à l’aune des dix critères mentionnés ? Peut-être la Turquie ? Peut-être l’Iran ?
Pour continuer à peser de manière à la fois indépendante et rationnelle, la Grande-Bretagne et la France ont intérêt à resserrer leur coopération et à donner vie à celles qu’elles ont conclues à Saint-Malo et à Lancaster House. Ce n’est pas seulement la raison qui le dicte, mais une fréquentation multiséculaire qui a tissé entre la France et la Grande-Bretagne, quelles que soient nos différences, une connaissance mutuelle sans égale, faite à la fois de respect et d’affection.
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Seul le prononcé fait foi.