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"L'Europe à 28 est un magma d'impuissance conjuguée"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité de Répliques, sur France Culture, samedi 4 janvier 2014. Il répondait aux questions de Alain Finkielkraut et débattait avec Sylvie Goulard.


repliques.mp3 France Culture - Répliques  (48.39 Mo)

Verbatim express :

  • La raison du désamour à l'égard de l'Europe est simple. On a bâti un mythe salvateur. Ceux qui se souviennent des conditions dans lesquelles a été approuvé le traité de Maastricht savent qu'on a identifié l'Europe à ce que j'appelle les « 3P » : la prospérité, la puissance, la paix.
  • L’Europe devait regonfler la croissance, réduire le chômage. L'euro devait concurrencer le dollar, voire s'y substituer. Rien de tout cela n'est au rendez-vous. Et la paix en Europe, nous la devons pour l'essentiel à l'arme thermonucléaire.
  • Nous voyons un chômage de masse, une stagnation économique prolongée, une désindustrialisation continue, le déclin de l'Europe. Sa voix est inaudible dans les grandes affaires du monde.
  • La démocratie ne trouve pas non plus son compte dans l'édifice européen actuel, parce que la démocratie vit dans les nations. L'Europe qu'on nous a construit est une Europe technocratique. Ses institutions ne répondent devant aucun peuple. La Commission européenne est censée définir l'intérêt général (curieux intérêt général que celui qui ne résulte pas du débat démocratique). La Banque centrale est indépendante, n'a qu'un but: lutter contre une inflation qui a quasiment disparu. La Cour de justice européenne a une jurisprudence qui s'étale sans aucune digue pour la contrarier. Le Parlement européen n'est pas vraiment un parlement, c'est la juxtaposition de la représentation de 28 peuples.
  • On a discrédité les nations à partir de 1945 pour camoufler la manière dont on allait construire l'Europe.

  • Il faut distinguer deux périodes. Il y a la période qui correspond aux premières années de la construction européenne, le traité de Rome... alors on supprime les barrières douanières à l'intérieur du marché commun, mais on instaure un tarif extérieur commun. Ces trente années correspondent à un rattrapage économique par rapport aux USA.
  • Cette période s'arrête aux années 70. A partir de ce moment là, les monnaies fluctuent librement (accords de la Jamaïque). Il y a les chocs pétroliers. On s'aperçoit que plus on s'avance, plus la croissance diminue. Elle est devenue quasiment nulle.
  • On s'est avancé dans la construction d'une Europe technocratique, régie par des idées simples, néolibérales (la concurrence libre et non-faussée, la croyance en l'efficience des marchés, le dogme de la lutte unique de la Banque centrale contre l'inflation, comme si la croissance ou la lutte contre le chômage ne pouvaient pas être aussi des objectifs, la suppression des déficits budgétaires) au point où tout est mis en pilotage automatique. La politique n'a plus sa place.
  • Je défends l'idée européenne, l'idée d'un resserrement de la solidarité entre nations européennes sur la base d'objectifs précis. On aurait pu se mettre d'accord sur des choses très simples : la monnaie, l'industrie, l'énergie, la défense, la politique extérieure, point barre. Au lieu de cela, on réglemente la teneur du chocolat en cacao, ou la couleur des bérets.

  • Si nous constatons un certain nombre de graves dysfonctionnement sur l'école, ou la formation professionnelle, cela tient essentiellement à des facteurs internes, et peut-être aussi à la crise de confiance que la France éprouve à l'égard d'elle-même, qui retentit sur la solidité de ses services publics.
  • L'école n'est plus soutenue, comme elle l'était jadis, par une haute idée, une idée exigeante, de la République. Cela n'est pas sans rapport avec la façon dont on a prétendu construire l'Europe, en substitut des nations.
  • On va commémorer la Première guerre mondiale et incriminer un peu plus les nations, comme si elles avaient été à l'origine de cette guerre, ce qui n'est pas vrai. C'est la thèse de mon livre.
  • On fait des nations les boucs émissaires des deux guerres mondiales, dont je cherche l'origine dans la modification de la hiérarchie des puissances, liée elle-même au développement des deux mondialisations libérales, que je mets en rapport, celle d'avant 14 sous égide britannique, et celle d'après 1945 sous égide américaine.
  • Nous sommes fiers de l'Europe, mais avec ses nations : l'Italie de la Renaissance, la splendeur espagnole, les grandes découvertes des navigateurs portugais, le Parlement britannique, les Lumières françaises, la Révolution française et sa conception du citoyen, et bien entendu de la philosophie et de la science allemande, les immenses qualités du peuple allemand, que je connais assez bien, que je serai le dernier à nier. Pour moi, l'Europe, c'est tout cela.
  • Il ne faut pas faire l'Europe contre les nations, ou même simplement en dehors d'elles, mais avec elles. Je critique une Europe basée sur le marché, sous tutelle américaine. Je pense que nous pouvons en faire une autre : une Europe européenne, qui existerait par elle-même, dans le monde du XXIe siècle, que domineront la Chine bien évidemment, et encore les États-Unis.

  • La question est de savoir comment on peut remettre l'Europe dans l'histoire, comme acteur de l'histoire. Je suis frappé du contraste entre la confiance des nations émergentes, et l'attitude flageolante des nations européennes, à l'exception peut-être de l'Allemagne.
  • Si on ne revient pas à quelques idées simples, on ne pourra pas réussir.
  • A mon avis, pour reconstruire l'Europe, la base solide et claire, c'est la nation, dans laquelle vit la démocratie.
  • Il y a une religion qui fait que l'Europe est la solution à tout, une sorte de théodicée du mal : les choses vont mal mais on s'en sortirait mieux s'il y avait toujours plus d'Europe, toujours plus d'intégration !
  • Il faut comprendre comment 1914 a été la conclusion catastrophique de la première mondialisation, avec le souci d'éviter que la deuxième mondialisation, avec la bipolarité sino-américaine, donne le même résultat. L'Europe, de ce point de vue là, est importante. Si elle s'organise de la Méditerranée à la Russie, elle pourra peser d'un certain poids, et peut-être amener à ce que les querelles d'hégémonies soient relativisées.

  • J'ai été un des premiers à demander qu'on cesse le « Hollande bashing », au début de l'an dernier, car il nuisait à l'intérêt du pays, à force de taper sur le Président, que ce soit Hollande ou Sarkozy (que je n'ai jamais attaqué personnellement mais sur sa politique). François Hollande est élu jusqu'en 2017, donc il faut respecter sa fonction.
  • Est-ce un signe que la démocratie française ne marche pas ? On peut s'interroger sur la pratique de nos institutions démocratiques, mais moins sur la nation.
  • La nation évolue. Elle n'est jamais la même. L'important n'est pas que la nation change, la France a intégré des concepts, des notions, des expressions venant d'autres pays ; ce qui est important, c'est que la nation reste une personnalité structurée.

  • Dans l'Europe du XXIe siècle, nous devons, non pas rallumer une nouvelle Guerre Froide, mais au contraire mettre l'accent sur ce qui peut rapprocher les peuples, et le peuple russe est un peuple européen avec une grande culture.
  • L'Ukraine est un pays divisé. Il y a une partie catholique uniate, tournée vers la Pologne et les pays baltes, notamment la Lituanie, et une partie russophone. L'Ukraine a été la première Russie. Les relations entre l'Ukraine et la Russie sont très étroites, il y a déjà 80 000 entreprises qui exportent de part et d'autre de la frontière ! Veut-on vraiment substituer l'Union Européenne à cette interrelation qui existe ? Cela ne pourrait se faire que très progressivement.
  • Les Ukrainiens qui manifestaient dans la rue évoquaient des sommes mirobolantes que l'Europe serait prête à déverser. On a vu ce que donnait le premier élargissement. Nous ne sommes pas prêt du tout pour un second.
  • Il me semble qu'il serait raisonnable de poser le problème de l'Ukraine en concertation avec la Russie. Cela ne devrait pas être un sujet de friction.
  • L'anti-poutinisme est à la mode. Je ne reprends pas à mon compte tout ce qu'a fait Poutine, mais il a interrompu la chute économique de la Russie, qui avait perdu la moitié de son PNB dans les années 90, et lui a rendu une place dans les relations internationales qui est tout à fait estimable.
  • La Russie n'a pas les moyens de constituer un « nouvel empire ». Elle a 140 millions d'habitants, la Chine c'est 1400 millions, c'est dix fois plus. Raisonnons à l'échelle du siècle, regardons comment les choses peuvent aller.
  • Le développement des classes moyennes en Russie fera plus pour la démocratie que Khodorkovski ! Il avait mis la main sur toutes les richesses en hydrocarbure de la Russie dans les années 90 !

  • Le conseil européen est une instance qui marche encore. C'est là que se trouve les chefs d’États et de gouvernements, les représentants légitimes des nations. Il pourrait siéger à géométrie variable.
  • La monnaie unique était dès le départ un contresens. Juxtaposant des économies hétérogènes, elle accroît la richesse à un pôle et le sous-développement à un autre. Il faut donc trouver une issue : soit que l'Allemagne joue son rôle de locomotive, soit que la Banque centrale devienne une banque centrale comme les autres, soit qu'on aille vers un système de monnaie commune, qui permettrait des ajustements beaucoup moins douloureux que les déflations internes auxquels on soumet, par une procédure disciplinaire les pays de l'Europe du Sud.
  • Ne confondons pas les politiques et les institutions.
  • L'Europe à 28 est un magma d'impuissance conjuguée. Nous ne sommes pas taillés pour résister à la compétition mondiale dans l'Europe telle qu'elle a été construite.


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    Découvrez le nouveau livre de Jean-Pierre Chevènement 1914-2014 : l'Europe sortie de l'histoire? (éditions Fayard)


le Samedi 4 Janvier 2014 à 12:32 | Lu 5310 fois



1.Posté par Kauffmann Adrien le 04/01/2014 17:05
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C'est Chevènement qui est impuissant plutôt, l'UE fait avancer les choses, mais quand certains pays freinent la machine, elle est forcément moins efficace.

2.Posté par Léonie Frémantes le 04/01/2014 18:43
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bravo à Chevènement pour son engagement envers le peuple Français. Voilà un homme qui a renoncé à sa carrière pour rester fidèle à ses idées. C'est rare ! Je suis totalement d'accord avec lui. L'europe, protectorat Américain, n'est pas au service des peuples. En réalité, c'est exactement l'inverse....L'europe règlemente, opprime, affame.....on ne peut que le constater, car les peuples subissent et n'ont plus droit au chapitre.

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